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BIOGRAPHIE

« J’ai éu moult de vainne gloire ;
« S’est bien heure de ce temps cloire
« Et de cryer à Dieu merci
« Qui m’a amené jusqu’à ci. »
Lors respondi Philosophie,
Qui oncques ne fu assouffie
D’arguer par soubtieves voies,
Et dist : « Amis, se tu sçavoies
« Que c’est grant chose de loenge,
« Et com prisie en est li enge,
« Plus chier l’auroies à avoir
« Qu’en tes coffres nul grant avoir.
« Pourquoi traveillent li seigneur
« Et despendent foison dou leur
« Ens es lointains pelerinages,
« Et laissent enfans et linages,
« Femmes, possessions et terre,
« Fors seul que pour loenge acquerre ?
« Que scevist-on qui fu Gawains,
« Tristans, Percevaus et Yewains,
« Guirons, Galehaus, Lanscelos,
« Li roix Artus, et li roix Los,
« Se ce ne fuissent li registre
« Qui euls et leur fès aministre ?
« Et aussi li aministreur
« Qui en ont esté registrer
« En font moult à recommender.
« Je te voeil encor demander,
« Se no foy qui est approuvée,
« Et n’est elle faitte et ouvrée
« Par docteurs et euvangelistes ?
« Sains Pols, Sains Bernars, Sains Celistes,
« Et pluisour aultre saint prodomme
« Que li Sainte Escripture nomme,
« N’en ont-il esté registreur ?
« Moult ont pour nous fet li docteur
« De proufit et de grant conseil.
« Pour tant, amis, je te conseil,
« Et te di en nom de chastoi :
« Ce que nature a mis en toi,
« Remonstre le de toutes pars,
« Et si largement le depars
« Que gré t’en puissent cil savoir
« Qui le désirent à avoir. »
Je respondi à sa parolle :
« Or soit, di-je, que je parolle
« Que porai-je de nouvel dire ?
« Je ne vous ose contredire,
« Car toutes vos monitions
« Ont si douces initions
« Qu’il n’est rien si trettable chose
« Mès, dittes moi, je qui repose
« Et qui ressongne travillier,
« De quoi me porai-je esvillier
« Qui soit plaisant et proufitable
« Au lire, et l’oïr delitable ?
« Voirs est qu’un livret fis jadis
« Qu’on dist l’Amourous Paradys,
« Et aussi celi del Orloge,
« Où grant part del art d’amours loge ;
« Après l’Espinette Amoureuse
« Qui n’est pas à l’oïr ireuse ;
« Et puis l’Amoureuse Prison
« Qu’en pluisours places bien prison ;
« Rondeaus, balades, virelais,
« Grant foison de dis et de lays ;
« Mès j’estoie lors pour le tamps
« Toutes nouvelletés sentans,
« Et avoie prest à la main
« À toute heure, au soir et au main,
« Matère pour ce dire et faire.
« Or voi-je changie mon afaire
« En aultre ordenance nouvelle. »
Et adonques me renouvelle
Philosophie un hault penser,
Et dist : « Il te convient penser
« Au temps passé et à tes oevres ;
« Et voeil que sus cesti tu oevres.
« Il ne t’est mie si lontains,
« Ne tu si frois ne si estains
« Que memoire ne t’en reviegne.
« Et s’ensi est qu’il te conviegne
« Varyer par trop sejourner,
« Se me fai prendre et ajourner
« Où que tu voels, et de par toy,
« Se briefment ne te ramentoy
« Ce que tu as de pourvéance
« Où tu n’as gaires de béance.
« Or y pense. » — « Si fai-je, dame,
« Que voelt estre ? Ne sçai, par m’ame !
« Recordés m’ent. » — « Volentiers, voir.
« Tu dois par devers toi avoir
« Un coffret ens ou quel jadis,
« Il y a des ans plus de dis,
« Tu mesis, et bien m’en souvient
« Puisque dire me le convient,
« Un image bel et propisce
« Fait au semblant et en l’espisce
« Que ta droite dame estoit lors.
« Se depuis tu ne l’as tret hors,
« Encores le dois-tu avoir.
« Je t’en pri ; or y va sçavoir,
« Tu y scés moult bien le chemin ;
« Et tu veras en parchemin
« L’image que je te devis,
« Pourtrette de corps et de vis,
« D’yeuls, de bouche, de nés, de mains,
« Toute otele, ne plus ne mains,
« Ouvrée en couleur bonne et riche
« Com fu ta dame belle et friche