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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/510

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BIOGRAPHIE

« Seroie fort énamourés.
« Or ai-je vos dons savourés.
« Non de tous, mès d’aucuns me loe. »
— « Compains, dist-elle, que je loe
« Ce dont tu te plains, je t’en pri. »
— « Volentiers ! Je qui merci cri,
« Et l’ai fait ensi que tout dis.
« Je n’en ai riens el qu’escondis,
« Dangiers et refus, jours et nuis,
« Painnes, et assaus et anuis.
« Ne sçai comment les ai portés ;
« Mès je me sui seul de portés
« À estre loyal et entiers
« Et que de véoir volentiers
« Ma dame, à qui j’ai tout donné.
« Or avés vous abandonné
« Mon corage en un dur parti
« Car je, qui onques ne parti
« De servir entérinement
« Ma dame, et très benignement,
« Obéy, crému et doubté,
« Elle m’a arrier rebouté
« Pour autrui. Ce m’est dur assés ;
« Car mon jone temps est passés,
« Sans pourvéance et sans ressort.
« Si que, je di que tout vo sort
« Ne me sont que confusions
« Et très grandes abusions. »


Après s’être plaint des malheurs de ses premiers amours, il est consolé par Vénus qui lui montre que c’est à ce premier sentiment si pur qu’il a dû les bons sentimens qui l’ont amené à écrire. La pièce se termine par une longue allégorie qui ne renferme aucun fait nouveau qui nous explique sa vie.

LE DIT DOU FLORIN[1].

Pour bien savoir argent desfaire,
Si bien qu’on ne le scet refaire,
Rapiecier ne remettre ensamble,
Car tel paour a que tout tramble
Quant il est en mes mains venus.
Point ne faut que nulle ne nuls
Voist à Douay ou à Marcienes,
À Tournay ou à Valencienes,
Pour quérir nul millour ouvrier
Que je sui l’esté et l’ivier ;
Car trop bien délivrer m’en sçai.
Je l’alève bien sans assai,
Ne sans envoyer au billon.
Aussi à la fois m’en pillon
Aux dés, aux esbas et aux tables,
Et aux aultres jus délitables.
Mès pour chose que argens vaille,
Non plus que ce fust une paille
De bleid, ne m’en change ne mue.
Il samble voir qu’argens me pue ;
Dalès moi ne poet arrester.
J’en ai moult perdu au prester ;
Il est fols qui preste sans gage.
Argent scet maint divers langage ;
Il est à toutes gens acointes ;
Il aime les beaus et les cointes,
Les nobles et les orfrisiés,
Les amourous, les envoisiés,
Les pélerins, les marchéans
Qui sont de leurs fais bien chéans,
Ceuls qui sievent soit guerre ou jouste ;
Car à tels gens argent ne couste
Nulle chose, ce leur est vis ;
Dalès euls le voïent envis.
Argent trop volentiers se change ;
Pour ce ont leur droit nom li change ;
Pas ne le scevent toute gent.
Change est paradys à l’argent,
Car il a là tous ses déduis,
Ses bons jours et ses bonnes nuis ;
Là se dort-il, là se repose,
Là le grate-on, c’est vraie chose !
Là est frotés et estrillés,
Lavés et bien appareilliés ;
Il en vient come par enfance.
Ils le poisent à la balance ;
Avoir li font toutes ses aises ;
Au devant de lui mettent haises
Afin qu’on ne le puist haper.
Cil qui se mellent de draper
En prendent là plus grans puignies.
Argens est de pluisours lignies ;
Car lors qu’il est issus de terre
Dire poet : « Je m’en vais conquerre
« Pays, chasteaus, terre et offisces. »
Argent fait avoir bénéfisces,
Et fait des drois venir les tors,
Et des tors les drois au retors.
Il n’est chose qu’argens ne face,
Et ne desface, et ne reface.
Argent est un droit enchanteur,
Un lierres et un bareteur ;
Tout met à point et tout toveille.
Il dort un temps, puis se resveille.
Se gros tournois leur cours avoient
Et les changéours y sçavoient
Gaagnier, quoique peu de cours
Aïent ores, dedens briefs jours
Vous en veriés sus establies

  1. Composé à Avignon.