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DE SIRE JEAN FROISSART.

Aux changes, pour connestablies,
Et pour porter fondre au billon.
Souvent de moi s’esmervillon
Comment sitos je m’en délivre ;
J’ai plus tos espars une livre
Qu’uns aultres n’auroit vingt deniers ;
Si n’en mac-je bleds en greniers
Avainnes, pois, fèves ne orges ;
Je n’en fais moustiers ne orloges,
Dromons, ne naves, ne galées,
Manoirs, ne chambres, ne alées,
Je n’achate toiles ne lins,
Aultres grains, ne fours, ne moulins,
Fuerres, gluis, estrains ne esteules,
Hasples, ne fuseaus, ne keneules,
Ne faucilles pour soyer blés.
Il s’est tantost de moi emblés ;
Il me defuit et je le chace ;
Lorsque je l’ai pris, il pourchace
Comment il soit hors de mes mains.
Il va par maintes et par mains ;
Ce seroit uns bons messagiers,
Voires mès qu’il fust usagiers
De retourner quant il se part ;
Mès nennil, que Diex y ait part !
Jà ne retournera depuis,
Non plus qu’il chéist en un puis,
Lorsqu’il se partira de moi.
Se je ploure après, ou larmoi,
Il m’est avis il n’en fait cure.
Puis vingt et cinq ans, sans la cure
De Lestines, qui est grant ville,
En ai-je bien éu deus mille
Des frans ; que sont-ils devenu ?
Si coulant sont et si menu,
Quand ma bourse en est pourvéue,
Tost en ai perdu la véue ;
De quoi, pour ravoir eut le compte
De deux milliers que je vous compte,
Le fons et toute la racine
J’en mis l’autr’ier un à jehine,
Que je trouvai en un anglet
D’un bourselot. « Diex ! doux valet,
« Di-je lors, es-tu ci quatis ?
« Par ma foi ! tu es uns quetis,
« Quant tous seuls tu es en prison
« Demorés, et ti compagnon
« S’en sont alés sans congié prendre.
« Or çà, il t’en fault compte rendre. »
Adoncques le pris à mes dens,
Et le mors dehors et dedens
À la fin qu’il fust plus bleciés :
Et quant je me fui bien sauciés,
Sus une pierre l’estendi
Et dou poing au batre entendi ;
Et puis si tirai mon coutiel
Et jurai : « Par ce hateriel !
« Je t’esboulerai, crapaudeaus ;
« Bien voi que tu es uns hardeaus
« Tailliés, rongniés et recopés ;
« Pour ce n’es-tu point eschapés ;
« Les autres t’ont laissié derrière.
« Se tu fuisses de leur manière,
« De bon pois et de bon afaire,
« Tu eusses bien o euls à faire.
« Di moi quel part s’en sont alé
« Ceuls qui n’ont chanté ne parlé,
« Mès sont partis, lance sus fautre,
« Tout ensamble, l’un avec l’autre,
« Ou tantost je te partirai
« En quatre, et si te porterai
« Fondre en la maison d’un orfèvre,
« Ou cuire ou fu d’un aultre fèvre. »
Adonc dist-il : « Pour Dieu merci !
« Sire, j’ai demoré droit ci,
« En ce bourselot, moult lonc temps ;
« J’ai là dormi moult bien contens
« De vous ; je vous voeil dire voir :
« Alevé avés moult d’avoir.
« Depuis que m’euïstes premiers.
« Tous jours ai esté darrainniers,
« Ne onques vous ne m’alevastes.
« Engagié m’avés bien en hastes
« Et puis tantôt me rachetiés.
« Je sçai François, Englois et Thiès,
« Car partout m’avés vous porté.
« Je vous ai souvent conforté.
« Quant il vous souvenoit de mi
« Vous m’avés trouvés bon ami ;
« Se j’euïsse esté uns plus grans,
« Uns bons nobles, ou uns bons francs,
« Uns doubles, ou uns bons escus
« On en n’euïst eu nul refus ;
« J’euïsse ores par mille mains
« Passé. Et n’en penses jà mains.
« Mais pour ce que je suis si fés
« Que retaillés et contrefés,
« On m’a refusé trop de fois.
« Vous venez dou pays de Fois,
« De Berne, en la Haute Gascongne,
« Et n’avés point éu besongne
« De moi ; mes m’avés, sans mentir,
« Tout un yver laissié dormir
« En un bourselot bien cousu
« Quel chose vous est avenu ?
« Dittes le moi tout bellement ;
« Je sui en vo commandement,
« Soit dou vendre ou del engagier. »
Quant ensi l’oy langagier,
En corage me radouci,