Aller au contenu

Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/534

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
528
BIOGRAPHIE

choses, parmi l’imagination que je avois eu de dicter et ordonner le livre, le comte de Foix vit moult volontiers, et toutes les nuits après son souper je lui en lisois. Mais en lisant nul n’osoit parler ni mot dire, car il vouloit que je fusse bien entendu, et aussi il prenoit grand solas au bien entendre. Et quand il chéoit aucune chose où il vouloit mettre débat ou argument, trop volontiers en parloit à moi, non pas en son gascon, mais en beau et bon françois. Et de l’état de lui et de son hôtel, je vous recorderai aucune chose, car je y séjournai bien tant que j’en pus assez apprendre et savoir.

Avant que je vinsse en sa cour je avois été en moult de cours de rois, de ducs, de princes, de comtes et de hautes dames, mais je n’en fus oncques en nulle qui mieux me plût ni qui fût sur le fait d’armes plus réjouie comme celle du comte de Foix étoit. On véoit, en la salle et ès chambres et en la cour, chevaliers et écuyers d’honneur aller et marcher, et d’armes et d’amour les oyoit-on parler. Toute honneur étoit là dedans trouvée. Nouvelles de quel royaume ni de quel pays que ce fût là dedans on y apprenoit ; car de tous pays, pour la vaillance du seigneur, elles y appleuvoient et venoient. Là fus-je informé de la greigneur partie des faits d’armes qui étoient avenus en Espaigne, en Portingal, en Arragon, en Navarre, en Angleterre, en Escosse et es frontières et limitation de la Languedoc ; car là vis venir devers le comte, durant le temps que je y séjournai, chevaliers et écuyers de toutes ces nations. Si m’en informois, ou par eux ou par le comte qui volontiers m’en parloit.

Je tendois trop fort à demander et à savoir, pour tant que je véois l’hôtel du comte de Foix si large et si plantureux, que Gaston le fils du comte étoit devenu, ni par quel incidence il étoit mort ; car messire Espaing de Lyon ne le m’avoit voulu dire ; et tant en enquis que un écuyer ancien et moult notable homme le me dit. Si commença son conte ainsi en disant..........

(T. ii, p. 400.)


Les fêtes de Noël que le comte tint moult solemnelles, là vit-on venir en son hôtel, à Ortais, foison de chevaliers et d’écuyers de Gascogne, et à tous il fit bonne chère. E là véy le Bourg d’Espaigne, duquel et de sa force messire Espaing de Lyon m’avoit parlé. Si l’en vis plus volontiers ; et lui fit le comte de Foix bon semblant. Là vis chevaliers d’Arragon et anglois lesquels étoient de l’hôtel du duc de Lancastre, qui pour ce temps se tenoit à Bordeaux, à qui le comte de Foix fit bonne chère et donna de beaux dons. Je me accointai de ces chevaliers, et par eux fus-je lors informé de grand’foison de besognes qui étoient avenues en Castille, en Navarre et en Portingal, desquelles je parlerai clairement et pleinement quand temps et lieu en sera.

Là vis venir un écuyer gascon qui s’appeloit le Bascot de Mauléon ; et pouvoit avoir pour lors environ soixante ans, appert homme d’armes par semblant et hardi ; et descendit en grand arroi en l’hôtel où je étois logé à Ortais à la Lune, sur Ernaulton du Pan. Et faisoit mener sommiers autant comme un grand baron ; et étoit servi lui, et ses gens, en vaisselle d’argent. Et quand je l’ouïs nommer et vis que le comte de Foix et chacun lui faisoit grand’fête, si demanda à messire Espaing de Lyon : « N’est-ce pas l’écuyer qui se partit du chastel de Trigalet, quand le duc d’Anjou sist devant Mauvoisin ? » — « Oil, répondit-il, c’est un bon homme d’armes pour le présent et un grand capitaine. » Sur celle parole je m’accointai de lui, car il étoit en mon hôtel ; et m’en aida à accointer un sien cousin gascon, duquel j’étois trop bien accointé, qui étoit capitaine de Carlac en Auvergne, qui s’appeloit Ernaulton, et aussi fit le Bourg de Campane. Et ainsi qu’on parole et devise d’armes, une nuit après souper, séant au feu et attendant la mie-nuit que le comté de Foix devoit souper, son cousin le mit en voie de parler et de recorder de sa vie et des armes où en son temps il avoit été, tant de pertes comme de profits, et trop bien lui en souvenoit. Si me demanda : « Messire Jean, avez-vous point en votre histoire ce dont je vous parlerai ? » Je lui répondis : « Je ne sais. Aie ou non aie, faites votre conte ; car je vous oy volontiers d’armes, car il ne me peut pas du tout souvenir, et aussi je ne puis pas avoir été de tout informé. » — « C’est voir, » répondit l’écuyer. À ces mots il commença son conte et dit ainsi.....

(T. ii, p. 406.)


À ces mots demandèrent-ils le vin ; on l’apporta ; et bûmes, et puis dit le Bascot de Mau-