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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

rent outre et retourna chacun sur son lez. On leur rendit leurs glaives nouvels, bons et roides ; ils les prirent et mirent en arrêt, et puis éperonnèrent et vinrent l’un contre l’autre. Mais de cette course les chevaux croisèrent, par quoi ils ne consuivirent point l’un l’autre, dont ils furent moult courroucés. De la quatrième lance ils s’assenèrent, et fut Guillaume Basquenay la seconde fois désheaumé. Il retourna vers ses gens et n’en fit plus pour ce jour.

Après se trait avant un autre écuyer anglois qui s’appeloit Jean Scot, et envoya heurter à la targe de guerre du seigneur de Saint-Py. Le chevalier répondit, car jà étoit-il en ordonnance et tout prêt pour ce faire. Ils prirent leurs lances et mirent en arrêt ; et puis éperonnèrent les chevaux et s’en vinrent l’un contre l’autre, et se férirent sur les targes si grands horions que les chevaux étançonnèrent. Les glaives furent roides ; point ne brisèrent ni issirent hors des mains de ceux qui les portoient. Ils retournèrent chacun sur son lez et puis s’ordonnèrent à jouter la seconde lance, laquelle fut belle et bien assise. Le sire de Saint-Py le consuivit sur le heaume et Jean Scot lui autant bien, et le désheauma et passa outre franchement. De celle joute fut l’écuyer moult honoré entre les siens. Le sire de Saint-Py fut renheaumé tantôt, et sur heure on lui rendit son glaive ; il le prit et mit en arrêt. Ils éperonnèrent l’un contre l’autre de grand’volonté. De ce coup ils se consuivirent sur les targes et se donnèrent grands horions. Jean Scot fut abattu et volé hors des arçons. Ainsi se contrevengea le sire de Saint-Py. L’écuyer anglois fut relevé et amené devers ses gens et n’en fit plus pour ce jour.

Après se trait avant un autre écuyer d’Angleterre, qui se nommoit Bernard Stapleton, armé de toutes pièces, ainsi comme à lui appartenoit ; et envoya heurter à la targe de guerre au seigneur de Saint-Py. Le chevalier répondit, car jà étoit-il tout prêt d’avantage. On lui bailla son glaive et à Bernard le sien. Ils éperonnèrent les chevaux d’un tenant et vinrent l’un contre l’autre de grand’volonté. Ce premier coup ils se consuivirent sur les heaumes et se donnèrent grands horions, tant que de l’acier, par le fer des glaives, les étincelles en saillirent ; et quoique les coups fussent durs et bien assis, ils passèrent entre et ne se portèrent point de dommage ; et retourna chacun sur son lez. Encore tenoient-ils leurs glaives ; si les abaissèrent et éperonnèrent les chevaux, et vinrent l’un contre l’autre au plus droit qu’ils purent. De ce coup ils se consuivirent ès targes et se donnèrent de grands horions, mais bien se tinrent leurs chevaux, car point ne chéirent ni chancelèrent. Ils passèrent outre et firent leur tour honorablement, et retourna chacun sur son lez. De la tierce lance ils se consuivirent ès heaumes ; et fut le coup si bien assis que ils se désheaumèrent. L’écuyer anglois retourna entre ses gens et n’en fit plus pour ce jour, car lui fut dit qu’il s’étoit honorablement acquitté.

Après se trait avant, pour jouter à l’ordonnance des autres, un gentil homme chevalier, jeune et frisque, bien joutant, bien dansant et bien chantant, lequel étoit nommé messire Jean d’Arondel, et envoya heurter par un sien écuyer à la targe de guerre de messire Regnault de Roye. Le chevalier répondit, qui ne demandoit autre chose, car jà étoit tout prêt d’avantage. On leur bailla les glaives ; ils les prirent et mirent en arrêt, et puis éperonnèrent leurs chevaux d’un point, et vinrent l’un sur l’autre de grand’volonté. Ce premier coup ils se consuivirent ès targes et se donnèrent grands horions, mais bien se tinrent, car point ne chéirent ; ils passèrent outre et firent leur tour ; et retourna chacun sur son lez ; les glaives leur étoient chus. Appareillé fut qui leur rendit ; il les prirent et mirent en arrêt, et puis éperonnèrent les chevaux et se avisèrent. Ils abaissèrent les glaives et se consuivirent de ce coup sur les heaumes, si dur que, pour l’acier, les étincelles en saillirent. Ils passèrent outre sans point de dommage. De la tierce lance les chevaux croisèrent en vidant. Ils se consuivirent et perdirent les glaives ; ils passèrent outre et recouvrèrent moult roidement. Si se férirent sur les heaumes, mais point ne se dommagèrent ni désheaumèrent. La cinquième lance fut bien assise sur les targes. Si rompirent les glaives ; autres dommages ils ne se firent. Messire Jean d’Arondel passa outre et fit son tour, et puis tourna entre ses gens et n’en fit plus pour ce jour.

Après se trait avant un autre écuyer d’Angleterre, qui se nommoit Nicolas Stone, appert homme et bien joutant, et envoya heurter sur la targe de guerre messire Boucicaut. Le chevalier