Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
[1390]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Endementres que ce pourchas se fit des bonnes villes d’Auvergne et de la comtesse Dauphine qui se mit avecques eux, et envoyèrent devers le roi de France et son conseil, et devers le duc de Berry, qui pour lors se tenoit à Paris de-lez le roi, se fortifièrent grandement ceux de la Roche de Vendais ; et au commencement de leur fortifiement ils firent une feuillée où ils logèrent leurs chevaux. Quand toutes manières de gens aventureux, qui cassés étoient de leurs gages, entendirent que Aimerigot Marcel faisoit guerre, si en furent tous réjouis ; et s’en vinrent plusieurs bouter en sa route et compagnie ; et eut tantôt de pillards et de robeurs plus que il n’en voulsist avoir. Nul ne demandoit gages, fors la retenue de lui ; car bien savoient tous ceux qui en sa compagnie se mettoient, que assez ils gagneroient, puisque l’abandon du piller et rober ils avoient. Si couroient tous les jours, une fois dessous et l’autre dessus, ni nul n’alloit au devant ; et se faisoient renommer et connoître en moult de lieux ; ni on ne parloit d’autre chose en Auvergne et en Limousin que de ceux de la Roche de Vendais. Moult en étoit le pays effrayé. Cils de Caluset, dont Perrot le Bernois étoit capitaine, tenoient fermement la trève et ne savoient nulle guerre ; et quand le dit Perrot vit que Aimerigot couroit ainsi le pays, qui cuidoit bien être en trèves et assuré, si fut tout courroucé sur Aimerigot ; et dit que il faisoit mal ; et lui manda ainsi, qu’il ne vouloit que lui ni les siens eussent nul retour en Caluset ni en lieu où il eut puissance. Aimerigot n’en fit compte, car il avoit bien où aller et retraire sans Caluset ; et avoit gens assez ; et tous les jours lui en venoient de ceux qui se vouloient aventurer et mal faire. Perrot le Bernois défendit sur la vie à ceux qui dessous lui étoient et se tenoient, que nul ne se mît aux champs pour porter contraire ni dommage à ses voisins, mais vouloit establement et loyaument tenir la trève. Olim barbe, capitaine d’Ousac, se dissimuloit aussi de celle affaire, et disoit toutefois qu’il vouloit tenir la trève ; mais il me fut dit que ses gens couroient couvertement à la fois ; et quand ils avoient aucuns bons pillages, il en vouloit bien avoir le profit. Les bonnes gens d’Auvergne, et par espécial de ceux de Clermont, et de Montferrant et de Riom, qui en message alloient devers le roi de France et le duc de Berry, exploitèrent tant par leurs journées qu’ils vinrent à Paris ; et trouvèrent là le roi, le duc de Berry, de Touraine et le connétable de France messire Olivier de Cliçon. Si se trairent tantôt devers le conseil du duc de Berry, et remontrèrent ce pourquoi ils étoient venus, et comment Aimerigot Marcel guerroyoit et détruisoit le pays d’Auvergne, et comme les gens qui mal y faisoient se multiplioient tous les jours ; et prioient pour Dieu que on y pourvût ; car si on les laissoit longuement convenir, ils honniroient le pays d’Auvergne et la frontière de Limousin. Quand ces nouvelles furent venues au roi et au duc de Berry, si en furent grandement courroucés, car ils cuidoient bien le pays avoir à trève : si demandèrent : « Ceux de la garnison de Caluset et d’Ousac font-ils nul mal ? » Ils répondirent que de nully ils ne se plaignoient encore, fors que de Aimerigot Marcel et de sa route qui fortifié avoient la Roche de Vendais. Donc répondirent le roi et le duc de Berry : « Or allez, bonnes gens, pensez de vous, car nous y pourveoirons de bref, tellement que vous vous en aperceverez ; et retournez au plus tôt que vous pourrez en vos lieux, et dites ces réponses à ceux qui ici vous envoient. » Ces bonnes gens d’Auvergne se tinrent à contens de ces réponses, et se rafraîchirent et reposèrent deux jours à Paris ; et puis retournèrent quand ils eurent pris congé, par espécial au duc de Berry, et vinrent en Auvergne.

Le roi de France et ses consaulx ne mirent point en oubli ces nouvelles ; car le duc de Berry, auquel il touchoit grandement, pourtant qu’il tient grands héritages en Auvergne, fit avancer la besogne ; et regardèrent qui ils y pourroient envoyer des parties de France. Vous savez, si comme il est ici dessus contenu en notre histoire, que le sire de Coucy étoit constitué et ordonné de par le roi et son conseil à être capitaine et souverain regard de tout le pays mouvant de la mer de la Rochelle, retournant, et comprenant jusques à la rivière de Dordogne, en allant jusques à Bordeaux sur Gironde. Or vous savez que le sire de Coucy n’étoit pas au pays, mais au voyage de Barbarie avecques les autres seigneurs de France et d’autres pays. Néanmoins, à son département, il avoit ordonné et institué son cousin messire Robert de Bethume, vicomte de Meaux à être lieutenant au pays dessus