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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et si, guerroyerons sagement. » Ainsi réconfortoient les compagnons Aimerigot Marcel.

Tant exploitèrent ces gens d’armes de France, le vicomte de Meaux et les autres, qu’ils vinrent à Moulins en Auvergne, et puis passèrent outre. Mais la duchesse de Bourbon, fille au comte Dauphin, recueillit à Moulins le vicomte et les chevaliers moult grandement, et leur donna à dîner ; puis passèrent outre, et vinrent ce jour, du soir, gésir à Saint-Poursain. Là se rafreschirent et vinrent à Ganap, et puis à Aigue-perse, et puis â Riom et là se rafreschirent ; et de là ils vinrent à Clermont, où ils furent bien recueillis de l’évêque du lieu et de ceux de la ville. Là eurent les compagnons de l’argent, car le pays pour payer les gens d’armes avoit fait une taille et cueillette. Si furent délivrés. À Clermont ils passèrent outre et vinrent à Notre-Dame d’Orcival, à quatre lieues de la Roche de Vendais : là s’arrêtèrent le vicomte de Meaux et ses gens, et là étoit fait le mandement des chevaliers et écuyers d’Auvergne et de Limousin. Si s’assemblèrent là tous, et eux assemblés, ils se trouvèrent plus de quatre cents lances, que uns que autres, et environ six vingt arbalêtriers gennevois. Là étoient avec le vicomte le sire de Montagu, Vermandisien, et son frère le sire de Doumart messire Beraut de la Rivière, messire Guillaume le Boutillier, le seigneur de Domme, le seigneur de la Roche, le sire de la Tour, messire Louis d’Aubière, le seigneur de Saint-Ausisse, messire Robert Dauphin et plusieurs autres. Et étoient capitaines des Gennevois deux vaillants écuyers, lesquels on nommoit Aubert de l’Espinette et Calevace ; et étoit pour ces jours maître de l’hôtel le vicomte de Meaux un gentil écuyer, qui s’appeloit Louis de l’Esglivesle ; et étoient tous ces gens d’armes, Gennevois et arbalêtriers, pourvus et armés de toutes pièces, autrement ils ne fussent point passés aux gages ni au regard du vicomte.

Quand ceux de la Roche de Vendais, Aimerigot Marcel et Guyot du Sel son oncle, entendirent que ces gens d’armes françois, picards, auvergnois et gennevois s’avançoient et étoient venus à Notre-Dame d’Orcival, et se ordonnoient pour venir mettre le siége devant leur fort, si s’avisèrent quelle chose ils feroient pour mieux résister à l’encontre d’eux. Premièrement ils regardèrent que ils n’avoient que faire de là tenir leurs chevaux, puisque ils auroient le siége et qu’ils en seroient trop empêchés.

Assez près du fort de la Roche de Vendais siéd un autre fort qui se appelle Saint-Soupery ; et se tenoit pour ce temps ce fort à Aimerigot Marcel. Et là demeuroit sa femme ; si y envoya une grand’partie de sa chevance. Si ordonnèrent qu’ils envoieroient leurs pages et leurs chevaux à Saint-Soupery, et les y envoyèrent. Vous devez savoir que la Roche de Vendais est durement fortifiée ; et si siéd, à voir dire, en moult forte place ; et moult en avoit été le seigneur de la Tour de ceux du pays blâmé, de ce que il l’avoit laissée et désemparée ; et disoient en Auvergne communément les hommes, que ce dommage ils recevoient par lui, car bien il pût avoir tenu la Roche de Vendais ; ou si tenir ne la vouloit pour les coûtages, avoir abandonnée aux hommes du pays, qui tellement l’eussent désemparée que jamais nul depuis ne s’y fût amassé ; mais au désemparer, on avoit laissé les murs tout entiers et une partie du manoir ; et tel l’avoit trouvée Aimerigot et ses gens. La Roche de Vendais est divisée des montagnes qui sont à l’environ moult hautes et dures ; et est une roche à part ; et sur un des lez il y a un pan de roche qu’ils avoient fortifié, et fait leurs manteaux et leurs atournemens pour eux garder et défendre ; et ne les pouvoit-on assaillir de nul côté fors que par devant et par escarmouche. Or se départirent de Notre-Dame d’Orcival le vicomte de Meaux, chevaliers et écuyers et Gennevois arbalêtriers, et cheminèrent tant que ils vinrent devant la Roche de Vendais. Si se logèrent et amassèrent ainsi, comme gens bien usés d’armes savent faire, et mirent siége, et petit à petit amendèrent leurs logis. Quand la comtesse Dauphine, qui se tenoit à Sardes, sçut les vraies nouvelles que la Roche de Vendais étoit assiégée et les Anglois dedans, si en fut moult réjouie ; et pour ce qu’elle pensoit bien que le vicomte de Meaux, de si loin venu de France et de Picardie, il n’avoit fait venir ni acharier tentes ni pavillons, elle ordonna tantôt et fit appareiller deux tentes belles et bonnes, qui étoient de son seigneur le comte Dauphin ; et les envoya au vicomte de Meaux qui étoit devant la Roche de Vendais, par manière de prêt et pour lui aider le siége durant. Le vicomte reçut ce présent en bon gré et se recom-