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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/81

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LIVRE IV.

ceux de l’ost n’en savoient rien ; car on pouvoit bien entrer et issir hors de la Roche de Vendais quand on vouloit, sans le danger ni le sçu dès François. Tous les jours il y avoit devant le fort escarmouche et assaut aux barrières ; et avint que, environ cinq ou six jours après ce que Aimerigot se fut départi de la Roche de Vendais, il y eut des François fait un assaut grand, bel et bien ordonné, et furent départis les François en trois parties, et toutes les parties firent armes. Car cil Guyot du Scel étoit bon homme d’armes, et long-temps en avoit usé ; mais encore à ce jour il se forfit par outre cuidance, car il alla hors de l’ordonnance de son cousin, qui lui avoit chargé que, pour assaut que on fit, point ne issît hors, ni ouvrît les barrières. À cel assaut il y eut trois écuyers, deux d’Auvergne et un Breton, lesquels étoient en faisant armes sur un pan de mur au plus près de la forteresse ; ces trois écuyers, par espécial et dessus tous les autres, se portèrent vaillamment et y firent beaucoup d’armes. Cils d’Auvergne étoient nommés Kacart de la Violette et Winoc de Rochefort, et le Breton le Monadich, qui jà fut pris en Limousin au dit châtel de Mont-Ventadour, et étoit à messire Guillaume le Boutillier. Et dura cel assaut jusques à la nuit : et y acquirent ces trois écuyers grand’grâce ; mais quelle peine ni travail que les François eussent ce jour en assaillant, si n’y conquirent-ils rien.

Or avint, à une autre escarmouche après, que le vicomte de Meaux eut nouvel sens et avis ; et mit en embûche douze hommes d’armes de ses gens en une vieille croûte au dehors du fort, et dit aux autres compagnons : « Allez escarmoucher aux barrières, et si vous véez que ceux qui sont dedans saillent hors, ainsi que ils le pourront faire, car ils sont convoiteux de gagner, si reculez petit à petit tant que vous soyez retraits outre l’embûche ; et lors ceux de l’embûche sauldront avant, et vous aussi retournerez ci. Ainsi seront-ils enclos, et par celle manière seront-ils pris et attrapés. Je n’y vois meilleur avantage. »

Tout ainsi que le vicomte devisa et ordonna il fut fait ; et furent ceux nommés qui seroient des douze en l’embûche ; Louis de la Glisvelle en fut l’un ; Robert de Béthencourt, Vendelle, Guillaume de la Sauçoye, Guionnet de Villerague, Pierre de Saint-Vidal, Pierre-le-Col, Andrieu de la Roche, Jean Salemagne, et tant qu’ils furent douze bons hommes d’armes. Et s’embûchèrent en une vieille croûte au dehors du fort ; et les autres compagnons allèrent escarmoucher, tels que Winoc de Rochefort, Kacart de la Violette et le Monadich ; et étoient moult frisquement armés de toutes pièces, afin que ils fussent plus convoités de ceux de dedans ; et étoient les escarmoucheurs aussi eux douze tant seulement. Quand ils furent si avant que à la barrière, ils commencèrent à assaillir faintement et à faire les simples ; par quoi Guyot du Scel n’en fit compte, et saulsist hors. Si dit à ses compagnons : « Par Saint-Marcel ! nous sauldrons hors, car à la barrière sont jeunes compagnons, qui ne connoissent encore les armes, à ce qu’ils montrent, nous leur apprendrons à connoître ; ils seront nos prisonniers, ils ne nous peuvent échapper. »

À ces mots il fit ouvrir la barrière, et saillit hors tout premier ; et ne lui souvint pas de ce que Aimerigot lui avoit dit à son département, car le grand désir que il eut de faire armes et de gagner aucune chose lui fit oublier. L’escarmouche commença. Quand les François virent que ceux du fort étoient hors de la barrière, et Guyot du Scel tout devant, si en furent tout réjouis, et commencèrent à reculer petit à petit et ceux après au poursuivir. Et tant allèrent que ils passèrent outre la première embûche ; et quand ils furent en sus et ils virent que il étoit heure, ils saillirent hors de la croûte et se mirent sur le chemin entre le fort et leurs ennemis, en criant : Coucy ! Coucy ! au vicomte ! Si furent enclos devant et derrière. Quand Guyot du Scel vit l’ordonnance, si connut bien que il s’étoit mesfait et que fort étoit de lui sauver ni retraire. Si commença à reculer pour revenir à la garnison, mais on lui saillit au devant. Que vous ferois-je long conte ? Ils furent là tous pris et attrapés, ni oncques nul n’en échappa ; et furent amenés au logis du vicomte devant les chevaliers qui là étoient, lesquels en eurent moult grand’joie.

Par le conseil que le vicomte de Meaux donna, furent Guyot du Scel et ceux qui ce jour étoient issus hors du fort pris, attrapés et menés en l’ost devant les seigneurs de France et d’Auvergne. Quand le vicomte de Meaux vit Guyot du Scel, si lui demanda où Aimerigot Marcel étoit et