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Page:Fulbert-Dumonteil - Portraits zoologiques.pdf/30

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PORTRAITS ZOOLOGIQUES.

C’est un rude montagnard, errant sur les plateaux élevés et nus, évitant dans ses courses les forêts sombres qui masquent l’horizon et cachent le danger, broutant en paix la mousse étiolée des hautes roches où s’arrêtent les flots glacés des mers polaires. Il aime ces lieux désolés, ces ternes paysages, ces monts arides où la neige ne cesse pas de tomber, où croissent à peine un bouleau chétif, un buisson nain ; et, comme chez le Lapon, son maître, rien ne saurait affaiblir son amour de la patrie, ni la pauvreté du soleil, ni les frimas éternels.

On dirait que l’étable a amoindri le Renne domestique, que l’esclavage l’a flétri. Le Renne sauvage est plus haut, plus fort, plus majestueux. C’est un vigoureux enfant des montagnes, qui émigre de solitude en solitude, passe les fleuves à la nage, escalade librement les cimes les plus escarpées. Il couche, rumine et dort sur la glace ; fouille la terre de son large sabot pour découvrir les plantes dont il se nourrit, le lichen, la renoncule des neiges.

Il forme des troupeaux immenses où règnent la concorde et la discipline ; défiant et rusé, il veut voir venir le danger de loin, campe sur les lieux découverts, en face des grands horizons : immobile sur un roc, il écoute les forêts criantes de sapins, ou contemple le ciel qui vient de s’allumer au terrible éclat des aurores boréales.

Tandis que le troupeau erre à l’aventure ou broute en paix, un vieux Renne monte soigneusement la garde jusqu’à ce qu’une autre sentinelle vienne le relever de sa faction.

À la moindre alerte, tous s’arrêtent et dressent la tête. — Ils ont décampé. Surpris, ce qui est bien rare, ils font face au danger et engagent d’héroïques combats contre le lynx, l’ours blanc, un bloc de neige, et les loups affamés,