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DE LA PREMIERE EDITION.

le sens que l’on doit donner en mille rencontres aux expressions des Auteurs Latins.

Mais le seul avantage des Dictionaires des langues vivantes par dessus les Dictionaires des langues mortes, n’est pas que dans les premiers on donne plus aisément & plus seurement que dans les autres, la veritable signification des termes, selon toutes leurs combinaisons ; & selon la diversité des matieres où on les employe : voicy encore un avantage tres-important, c’est que les Dictionaires d’une langue morte ne la representent qu’en partie, parce que ceux qui les compilent, ne sauroient où prendre une infinité de mots qui ont aussi proprement appartenu à cette langue, que les mots qui nous en sont encore connus. Car, par exemple, combien y a-t-il de mots Grecs & Latins qui n’ont jamais passé dans les livres ? Combien y en a-t-il qui n’ayant pas été confinez au seul commerce de vive voix, mais ayant eu place dans les escrits de quelque Auteur, n’en sont pas moins perdus pour cela, à cause de la perte totale qu’on a faite de ces escrits ? Il y a tel mot & telle phrase dans les Dictionaires les plus amples, qu’on ne peut justifier que par un seul Auteur, encore se faut-il contenter quelquefois d’un passage unique : d’où il s’ensuit que si nous avions tous les Auteurs, ou tous les escrits de ceux dont il nous reste beaucoup de Traitez, nous y trouverions dequoy amplifier les Dictionaires. Nous voyons tous les jours qu’à mesure qu’on publie des Manuscrits de la basse Latinité, on découvre de nouveaux termes à inserer dans le Glossaire de Mr. Du Cange, lesquels bien souvent n’avoient échappé à ses infatigables recherches, que parce qu’ils n’avoient été employez par aucun Ecrivain connu.

Outre ces raisons l’on peut dire encore, que les mots qui ne sont que tres-peu de fois dans les livres, sont fort sujets à demeurer exclus d’un Dictionaire. Et c’est la raison pourquoy le savant Borrichius a pû ramasser plus de 400. mots de la lettre C, qui avoient échappé aux Compilateurs du Forum Romanum, gens neanmoins qui étoient venus plus d’une fois au secours les uns des autres, marchant successivement sur les mêmes voyes. Le même Borrichius observe judicieusement, que ce qui fait que le Thresor de Henry Estienne, qu’il regarde d’ailleurs comme le meilleur Ouvrage que l’on ait fait en ce genre-là, manque d’une infinité de mots, c’est que l’Auteur n’avoit pas assez feuilleté Aristote, Platon, Xenophon, Demosthene, Thucydide, Euripide, Plutarque, Galien, etc. & qu’il n’avoit pû consulter plusieurs autres livres qui n’ont été publiez que depuis sa mort. Puis donc qu’il est extrement difficile d’assembler tous les mots qui nous restent des langues mortes, & impossible d’ailleurs de retrouver ceux que l’on en a perdus, qui peut-être sont en plus grand nombre que ceux que l’on a encore dans les livres ; il est évident que ces langues-là ne sont representées qu’à demi dans les Dictionaires, & qu’elles y perdent necessairement une infinité d’expressions qui n’étoient bonnes que pour l’entretien familier, & qui appartenoient en propre à certains Arts, ou à certaines fonctions de la vie, sur quoy il ne nous reste aucun Traité particulier. Mais ces obstacles ne regardant point les langues vivantes, il s’ensuit que quand on s’en veut donner la peine avec les talens requis pour cela, on peut faire des Dictionaires qui les representent dans toute leur étenduë.

On ne dit rien d’un grand defaut qui regne pour l’ordinaire dans les Lexicons des langues savantes, & sur tout dans les Dictionaires polyglottes : c’est qu’on y voit bien les rapports d’un mot à un autre mot, mais non pas aussi souvent qu’il le faudroit la definition des choses signifiées par les mots.


  • * C’est