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Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1864.djvu/427

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CH. IX. NOUVEAU PRINCIPE DE GOUVERNEMENT.

Mais dans la période où nous entrons maintenant, la tradition n’a plus d’empire et la religion ne gouverne plus. Le principe régulateur duquel toutes les institutions doivent tirer désormais leur force, le seul qui soit au-dessus des volontés individuelles et qui puisse les obliger à se soumettre, c’est l’intérêt public. Ce que les Latins appellent res publica, les Grecs τὸ κοινὸν, voilà ce qui remplace la vieille religion. C’est là ce qui décide désormais des institutions et des lois, et c’est à cela que se rapportent tous les actes importants des cités. Dans les délibérations des sénats ou des assemblées populaires, que l’on discute sur une loi ou sur une forme de gouvernement, sur un point de droit privé ou sur une institution politique, on ne se demande plus ce que la religion prescrit, mais ce que réclame l’intérêt général.

On attribue à Solon une parole qui caractérise assez bien le régime nouveau. Quelqu’un lui demandait s’il croyait avoir donné à sa patrie la constitution la meilleure ; « non pas, répondit-il ; mais celle qui lui convient le mieux. » Or c’était quelque chose de très-nouveau que de ne plus demander aux formes de gouvernement et aux lois qu’un mérite relatif. Les anciennes constitutions fondées sur les règles du culte, s’étaient proclamées infaillibles et immuables ; elles avaient eu la rigueur et l’inflexibilité de la religion. Solon indiquait par cette parole qu’à l’avenir les constitutions politiques devraient se conformer aux besoins, aux mœurs, aux intérêts des hommes de chaque époque. Il ne s’agissait plus de vérité absolue ; les règles du gouvernement devaient être désormais flexibles et variables. On dit que Solon souhaitait, et tout au plus, que ses lois fussent observées pendant cent ans.