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LIVRE IV. LES RÉVOLUTIONS.

tres ressources. Il vendait son vote, et comme les occasions de voter étaient fréquentes, il pouvait vivre. À Rome, ce trafic se faisait régulièrement et au grand jour ; à Athènes, on se cachait mieux. À Rome, où le pauvre n’entrait pas dans les tribunaux, il se vendait comme témoin ; à Athènes, comme juge. Tout cela ne tirait pas le pauvre de sa misère et le jetait dans la dégradation.

Ces expédients ne suffisant pas, le pauvre usa de moyens plus énergiques. Il organisa une guerre en règle contre la richesse. Cette guerre fut d’abord déguisée sous des formes légales ; on chargea les riches de toutes les dépenses publiques, on les accabla d’impôts, on leur fit construire des trirèmes, on voulut qu’ils donnassent des fêtes au peuple. Puis on multiplia les amendes dans les jugements ; on prononça la confiscation des biens pour les fautes les plus légères. Peut-on dire combien d’hommes furent condamnés à l’exil par la seule raison qu’ils étaient riches ? La fortune de l’exilé allait au trésor public, d’où elle s’écoulait ensuite, sous forme de triobole, pour être partagée entre les pauvres. Mais tout cela ne suffisait pas encore : car le nombre des pauvres augmentait toujours. Les pauvres en vinrent alors à user de leur droit de suffrage pour décréter soit une abolition de dettes, soit une confiscation en masse et un bouleversement général.

Dans les époques précédentes on avait respecté le droit de propriété, parce qu’il avait pour fondement une croyance religieuse. Tant que chaque patrimoine avait été attaché à un culte et avait été réputé inséparable des dieux domestiques d’une famille, nul n’avait pensé qu’on eût le droit de dépouiller un homme de son champ. Mais