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c’est dans les livres sacrés qu’on les a consignées, dans les rituels, au milieu des prières et des cérémonies. Varron cite une loi ancienne de la ville de Tusculum et il ajoute qu’il l’a lue dans les livres sacrés de cette ville[1]. Denys d’Halicarnasse, qui avait consulté les documents originaux, dit qu’avant l’époque des Décemvirs tout ce qu’il y avait à Rome de lois écrites se trouvait dans les livres des prêtres[2]. Plus tard la loi est sortie des rituels ; on l’a écrite à part ; mais l’usage a continué de la déposer dans un temple, et les prêtres en ont conservé la garde.

Écrites ou non, ces lois étaient toujours formulées en arrêts très brefs, que l’on peut comparer, pour la forme, aux versets du livre de Moïse ou aux slocas du livre de Manou. Il y a même grande apparence que les paroles de la loi étaient rythmées[3]. Aristote dit qu’avant le temps où les lois furent écrites, on les chantait[4]. Il en est resté des souvenirs dans la langue ; les Romains appelaient les lois carmina, des vers ; les Grecs disaient νόμοι, des chants[5].

Ces vieux vers étaient des textes invariables. Y changer une lettre, y déplacer un mot, en altérer le rythme, c’eût été détruire la loi elle-même, en détruisant la forme sacrée sous laquelle elle s’était révélée aux hommes. La loi était comme la prière, qui n’était agréable à la divinité qu’à la condition d’être récitée exactement, et qui devenait impie si un seul mot y était changé. Dans le droit primitif, l’extérieur, la lettre est tout ; il n’y a pas à chercher le sens ou l’esprit de la loi. La loi ne vaut pas par le principe moral qui est en elle, mais par les mots

  1. Varron, L. L., VI, 16.
  2. Denys, X, 1.
  3. Élien, H. V., II, 39.
  4. Aristote, Probl., XIX, 28.
  5. νέμω, partager, νόμος, division, mesure, rythme, chant ; voyez Plutarque, De musica, p. 1133 ; Pindare, Pyth., XII, 41 ; fragm. 190 (édit. Heyne). Schol. d’Aristophane, Chev., 9 : νόμοι καλούνται οί είς θεούς ΰμναι.