Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/240

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que sa formule renferme. Sa force est dans les paroles sacrées qui la composent.

Chez les anciens et surtout à Rome, l’idée du droit était inséparable de l’emploi de certains mots sacramentels. S’agissait-il, par exemple, d’une obligation à contracter ; l’un devait dire : dari spondes ? et l’autre devait répondre : spondeo. Si ces mots-là n’étaient pas prononcés, il n’y avait pas de contrat. En vain le créancier venait-il réclamer le payement de la dette, le débiteur ne devait rien. Car ce qui obligeait l’homme dans ce droit antique, ce n’était pas la conscience ni le sentiment du juste, c’était la formule sacrée. Cette formule prononcée entre deux hommes établissait entre eux un lien de droit. Où la formule n’était pas, le droit n’était pas.

Les formes bizarres de l’ancienne procédure romaine ne nous surprendront pas, si nous songeons que le droit antique était une religion, la loi un texte sacré, la justice un ensemble de rites. Le demandeur poursuit avec la loi, agit lege. Par l’énoncé de la loi il saisit l’adversaire. Mais qu’il prenne garde ; pour avoir la loi pour soi, il faut en connaître les termes et les prononcer exactement. S’il dit un mot pour un autre, la loi n’existe plus et ne peut pas le défendre. Gaius raconte l’histoire d’un homme dont un voisin avait coupé les vignes ; le fait était constant ; il prononça la loi. Mais la loi disait arbres, il prononça vignes ; il perdit son procès.

L’énoncé de la loi ne suffisait pas. Il fallait encore un accompagnement de signes extérieur, qui étaient comme les rites de cette cérémonie religieuse qu’on appelait contrat ou qu’on appelait procédure en justice. C’est par cette raison que pour toute vente il fallait employer le morceau de cuivre et la balance ; que pour acheter un objet il fallait le toucher de la main, mancipatio ; que, si l’on se disputait une propriété, il y avait combat fictif, manuum consertio. De là les formes de l’affranchissement,