Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/249

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fier son fils. Il faut surtout savoir mourir pour elle. Le Grec ou le Romain ne meurt guère par dévouement à un homme ou par point d’honneur ; mais à la patrie il doit sa vie. Car si la patrie est attaquée, c’est sa religion qu’on attaque. Il combat véritablement pour ses autels, pour ses foyers, pro aris et focis ; car si l’ennemi s’empare de sa ville, ses autels seront renversés, ses foyers éteints, ses tombeaux profanés, ses dieux détruits, son culte effacé. L’amour de la patrie, c’est la piété des anciens.

Il fallait que la possession de la patrie fût bien précieuse ; car les anciens n’imaginaient guère de châtiment plus cruel que d’en priver l’homme. La punition ordinaire des grands crimes était l’exil.

L’exil était proprement l’interdiction du culte. Exiler un homme, c’était, suivant la formule également usitée chez les Grecs et chez les Romains, lui interdire le feu et l’eau[1]. Par ce feu, il faut entendre le feu sacré du foyer ; par cette eau, l’eau lustrale qui servait aux sacrifices. L’exil mettait donc un homme hors de la religion. « Qu’il fuie, disait la sentence, et qu’il n’approche jamais des temples. Que nul citoyen ne lui parle ni ne le reçoive ; que nul ne l’admette aux prières ni aux sacrifices ; que nul ne lui présente l’eau lustrale[2] » Toute maison était souillée par sa présence. L’homme qui l’accueillait devenait impur à son contact. « Celui qui aura mangé ou bu avec lui ou qui l’aura touché, disait la loi, devra se purifier. » Sous le coup de cette excommunication, l’exilé ne pouvait prendre part à aucune cérémonie religieuse ; il n’avait plus de culte, plus de repas sacrés, plus de prières ; il était déshérité de sa part de religion.

Il faut bien songer que, pour les anciens, Dieu n’était pas partout. S’ils avaient quelque vague idée

  1. Hérodote, VII, 231. Cratinus, dans Athénée, XI, 3. Cicéron, Pro domo, 20. Tite-Live, XXV, 4. Ulpien, X, 3.
  2. Sophocle, Œdipe roi, 239. Platon, Lois, IX, 881.