Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/467

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subsistait encore. C’est ce qu’on peut voir en observant la condition des peuples soumis à Rome.

Il faut d’abord écarter de notre esprit toutes les habitudes de la politique moderne, et ne pas nous représenter les peuples entrant l’un après l’autre dans l’État romain, comme, de nos jours, des provinces conquises sont annexées à un royaume qui, en accueillant ces nouveaux membres, recule ses limites. L’État romain, civitas romana, ne s’agrandissait pas par la conquête ; il ne comprenait toujours que les familles qui figuraient dans la cérémonie religieuse du cens. Le territoire romain, ager romanus, ne s’étendait pas davantage ; il restait enfermé dans les limites immuables que les rois lui avaient tracées et que la cérémonie des Ambarvales sanctifiait chaque année. Une seule chose s’agrandissait à chaque conquête : c’était la domination de Rome, imperium romanum.

Tant que dura la république, il ne vint à l’esprit de personne que les Romains et les autres peuples pussent former une même nation. Rome pouvait bien accueillir chez elle individuellement quelques vaincus, leur faire habiter ses murs, et les transformer à la longue en Romains ; mais elle ne pouvait pas assimiler toute une population étrangère à sa population, tout un territoire à son territoire. Cela ne tenait pas à la politique particulière de Rome, mais à un principe qui était constant dans l’antiquité, principe dont Rome se serait plus volontiers écartée qu’aucune autre ville, mais dont elle ne pouvait pas s’affranchir entièrement. Lors donc qu’un peuple était assujetti, il n’entrait pas dans l’État romain, mais seulement dans la domination romaine. Il ne s’unissait pas à Rome, comme aujourd’hui des provinces sont unies à une capitale ; entre les peuples et elle, Rome ne connaissait que deux sortes de lien, la sujétion ou l’alliance.