Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/254

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Vosges, les semeurs de carottes devaient avoir soin, pendant l’opération, de toucher fréquemment leur cuisse, pour en obtenir de cette grosseur. Pour semer heureusement les navets, il fallait n’être ni fier ni orgueilleux, et pour en obtenir de gros, on réunissait de temps en temps les deux poings bien fermés. Il y a mille variétés de ces pratiques superstitieuses.

En voici quelques autres qui tiennent de plus près aux exercices actifs de la table. N’est-ce pas un signe fâcheux que de rencontrer placés en croix sur une table servie les différents instruments qui constituent ce que nous appelons le couvert ? La salière renversée n’est-elle pas un présage de malheur, déjà connu des graves Romains ? Le pain posant sur la croûte supérieure n’est-il pas un augure sinistre en tout temps, et le pronostic de la mort du maître de la maison, s’il est malade ? Pourquoi redoute-t-on le nombre treize à table ? Ce nombre n’avait aucun caractère augural sinistre chez les Romains ; leur sigma ou lit demi-circulaire contenait de sept à treize places ; il faut donc chercher la cause de l’aversion populaire pour le nombre de treize convives dans les souvenirs religieux de la Cène, qui compta le traître Judas parmi ses treize assistants. À côté des préjugés qui nourrissaient les noires inquiétudes, il y en avait d’autres qui semaient la joie et l’espérance ou éveillaient de tendres curiosités. La spirale de pelure de pomme, légèrement détachée du fruit odorant, et que la main capricieuse de la jeune fille jette par-dessus sa tête et derrière elle, forme sur le sol le monogramme de l’époux qui lui est destiné. — On pénètre les plus intimes pensées d’une personne quand on boit, à table, dans le verre dont elle vient de faire usage[1]. Aussi fait-il beau voir, dans les fêtes de village, l’empressement des amoureux à boire dans le verre des jeunes filles à marier.

Comment s’étonnerait-on de la part que la superstition s’est faite dans les actes auxquels l’homme se livre le plus fréquemment et avec le plus de plaisir, quand on le voit réserver une place à sa

  1. Richard, Traditions populaires de la Lorraine, p. 268.