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ÉCONOMISTE.

cipal auteur des sortilèges et des visions étranges qui l’avaient tant épouvantée dans les premières semaines de son séjour à Rivardville.

Quand Pierre Gagnon n’était pas au champ, Françoise passait ses moments de loisir à rêver en silence ou à chercher des trèfles à quatre feuilles.

Mais j’oubliais de dire un fait qui ne manqua pas d’exciter plus d’une fois les gorges-chaudes de leurs compagnons et compagnes de travail, c’est qu’on les vit tous deux, dans la saison des fruits, passer le temps de la repose à cueillir des fraises, des mûres, des framboises ou des bluets, et, chose extraordinaire, Pierre Gagnon, sous prétexte qu’il n’aimait pas les fruits, donnait tout à Françoise.

Eh bien ! le croira-t-on ? Malgré tous ces témoignages d’intérêt, malgré ces nombreuses marques d’attention et d’amitié, les gens n’étaient pas d’accord sur les sentiments de Pierre Gagnon. Les uns prétendaient qu’il ne voulait que s’amuser aux dépens de Françoise, d’autres soutenaient que son but était tout simplement de faire manger de l’avoine[1] au petit Louison Charli qui passait, à tort ou à raison, pour aller voir la servante de Jean Rivard. Enfin le plus grand nombre s’obstinaient à dire que Pierre Gagnon ne se marierait jamais.

  1. Un vocabulaire des expressions populaires en usage dans nos campagnes ne serait pas sans intérêt. En général, ces locutions ne sont employées que par les serviteurs ou engagés, ou ceux qui n’ont reçu aucune teinture des lettres. Dans la classe aisée des cultivateurs on parle un langage plus correct et qui ne diffère pas essentiellement de celui des marchands canadiens de nos villes, si ce n’est qu’il est moins parsemé d’anglicismes. Il est même remarquable que les enfants qui fréquentent les bonnes écoles améliorent en peu de temps le style et la prononciation qu’ils ont reçus de la bouche de leurs parents. Il existe chez les Canadiens, surtout chez les jeunes gens, une singulière aptitude à adopter le langage des personnes» instruites avec lesquelles ils vivent en contact.