Page:Gérin-Lajoie - Jean Rivard, le défricheur, 1874.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
LE DÉFRICHEUR.

« Vous ne doutez pas, mon jeune ami, de l’intérêt que je vous porte. Eh bien ! je suis tellement persuadé que cette carrière, tout humble qu’elle puisse paraître à vos yeux, est préférable aux professions libérales, au moins pour la plupart des jeunes gens, que je n’hésite pas un instant à vous recommander de l’embrasser, malgré toutes les objections que l’on pourra vous faire. Pour avoir étudié pendant quelques années, ne vous en croyez pas moins apte à la culture de la terre. Au contraire, mon ami, l’étude a développé vos facultés naturelles, vous avez appris à penser, à méditer, à calculer, et nul état ne demande plus d’intelligence que celui de l’agriculteur. Si cet art n’a pas fait de plus rapides progrès parmi nous, il faut en accuser en grande partie la malheureuse répugnance qu’ont montrée jusqu’aujourd’hui nos hommes instruits à se dévouer à cette honorable industrie. Bravez, le premier, mon jeune ami, ce préjugé funeste, d’autres vous imiteront bientôt et en peu d’années l’agriculture sera régénérée. »

Chacune de ces paroles allait au cœur de Jean Rivard. C’était bien là son rêve de tous les jours, son idée favorite. Mais chaque fois qu’il en avait parlé dans sa famille, son projet avait excité de telles clameurs qu’il n’osait plus revenir sur ce sujet. D’ailleurs une difficulté existait à laquelle ne songeait pas le bon curé : comment, avec la petite somme de cinquante louis, songer à devenir propriétaire à Grandpré ; lorsqu’une ferme de dimension ordinaire n’y pouvait coûter moins de douze à quinze mille francs[1],

  1. On conserve encore la coutume dans les paroisses canadiennes éloignées des villes, de compter par francs dans les conventions relatives aux bienfonds.