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lui, la lampe des phares n’avait qu’une faible lumière, qui ne s’apercevait pas d’assez loin sur les flots, et les naufrages étaient encore fréquents. Fresnel sut multiplier la lumière de cette lampe en l’entourant de verres savamment taillés et de miroirs de toute sorte.

« C’est la France, a dit un de nos écrivains, qui, après ses grandes guerres, inventa ces nouveaux arts de la lumière et les appliqua au salut de la vie humaine. Armée du rayon de Fresnel, de cette lampe forte comme quatre mille et qu’on voit à douze lieues, elle se fit une ceinture de ces puissantes flammes qui entre-croisent leurs lueurs. Les ténèbres disparurent de la face de nos mers. Qui peut dire combien d’hommes et de vaisseaux sauvent les phares ? »


Julien continuait sa lecture ; mais le pilote Guillaume ne l’écoutait plus depuis déjà quelque temps ; il était tout occupé du navire et de la mer. Le vent s’était levé plus fort, et on voyait au loin l’Océan qui commençait à blanchir d’écume.

— Allons, laisse-moi, petit, dit Guillaume ; tes histoires sont intéressantes, mais nous les verrons une autre fois. Sur toutes ces côtes la mer est mauvaise, et je pourrai bien avoir ce soir forte besogne.



XCVIII. — Le naufrage. — Égoïsme et dévouement.


Honte aux égoïstes qui ne songent qu’à eux-mêmes, honneur à l’homme désintéressé qui s’oublie pour les autres.


Le petit Julien s’était couché tard ; on était inquiet à bord du bâtiment, car la mer était de plus en plus mauvaise.

Au milieu de la nuit, l’enfant dormait profondément comme on dort à son âge. Tout d’un coup il fut réveillé en sursaut. Au-dessus de sa tête, sur le plancher du navire, il entendait les marins aller et venir avec agitation. En même temps, c’étaient de longs roulements comme ceux du tonnerre, des sifflements aigus, des grondements à assourdir. Julien avait déjà entendu des bruits de ce genre, mais bien moins forts, lors de la première bourrasque que le Poitou avait essuyée : — Hélas ! se dit-il, c’est encore la tempête !

Il chercha autour de lui son frère ; mais André n’était plus là : sans doute il s’était réveillé avant Julien et était sorti de la cabine pour aider les matelots.

Julien essaya de se lever, mais la mer secouait tellement le navire qu’il ne put se tenir debout et fut jeté contre la cloison.

L’enfant épouvanté rassembla pourtant tout son courage ;