Page:G. Bruno - Le Tour de la France par deux enfants, 1904.djvu/57

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été le premier de sa classe, et il avait beaucoup de bons points.

— Puisque vous avez si joliment travaillé, Julien, dit Mme Gertrude, venez vous distraire avec moi. Je vais chercher de l’ouvrage au magasin qui me donne des coutures ; il fait beau temps, nous suivrons les promenades d’Épinal.

Julien tout joyeux s’empressa de poser son carton d’écolier à sa place ; Mme Gertrude mit son châle, on ferma la porte à clef et on partit.

Chemin faisant, Julien, bien fier d’avoir été le premier, se redressait de toute sa petite taille. Il ne manqua point de dire à Mme Gertrude que pourtant il était parmi les plus jeunes de sa division. Il raconta même, en passant devant la maison d’un camarade, que le petit garçon qui demeurait là et qui avait deux ans de plus que lui n’en était pas moins le dernier de la classe.

Enfin, je ne sais comment cela se fit (c’était sans doute l’enthousiasme du succès), mais Julien sortit de son naturel aimable et modeste jusqu’à se moquer du jeune camarade en question, et il le déclara tout à fait sot.

— Eh mais, Julien, dit Mme Gertrude, est-ce que vous seriez vaniteux, par hasard ? Je ne vous connaissais pas ce défaut-là, mon enfant, et j’aurais bien du chagrin de vous le voir prendre.

— Mon Dieu, Madame Gertrude, quand on est le premier à l’école, est-ce qu’on ne doit pas en être fier ?

— Mon enfant, vous pouvez être content d’avoir le premier rang en classe sans pour cela vous moquer des autres. Songez d’ailleurs que, si vous êtes moins sot qu’un autre, ce n’est pas une raison d’en tirer vanité : avez-vous oublié, Julien, que ce n’est point vous qui vous êtes fait ce que vous êtes ? Et d’ailleurs, mon garçon, rien ne me prouve que le camarade dont vous vous moquez n’ait pas cent fois plus d’esprit que vous-même. Tenez, je veux vous dire une histoire qui rabaissera peut-être votre vanité d’écolier.

En même temps, la bonne dame Gertrude fit arrêter Julien en face d’une statue devant laquelle ils passaient tous les deux.

— Voyez-vous cette statue, Julien ? dit-elle ; eh bien, regardez-la comme il faut : c’est celle du plus grand peintre de paysages qui ait jamais existé. Il s’appelait Claude Gelée, et on l’a surnommé le Lorrain en l’honneur de son pays, car il est né dans ce département et