Page:Gaboriau - L’Affaire Lerouge.djvu/198

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Cet autre, ce préféré, ce noble vicomte qui ne savait pas triompher des obstacles, que ne le tenait-il là sous son genou !

En ce moment, cet homme noble et fier, ce magistrat si sévère pour lui-même, s’expliqua les délices irrésistibles de la vengeance. Il comprit la haine qui s’arme d’un poignard, qui s’embusque lâchement dans les recoins sombres, qui frappe dans les ténèbres, en face ou dans le dos, peu importe, mais qui frappe, qui tue, qui veut du sang pour son assouvissement !…

En ce moment, précisément, il était chargé d’instruire l’affaire d’une pauvre fille publique, accusée d’avoir donné un coup de couteau à une de ses tristes compagnes.

Elle était jalouse de cette femme, qui avait cherché à lui enlever son amant, un soldat ivrogne et grossier.

M. Daburon se sentait saisi de pitié pour cette misérable créature qu’il avait commencé d’interroger la veille.

Elle était très-laide et vraiment repoussante, mais l’expression de ses yeux, quand elle parlait de son soldat, revenait à la mémoire du juge.

« Elle l’aime véritablement, pensait-il. Si chacun des jurés avait souffert ce que je souffre, elle serait acquittée. Mais combien d’hommes ont eu dans leur vie une passion ? Peut-être pas un sur vingt. »