Page:Gaboriau - L’Affaire Lerouge.djvu/206

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je lui laissais l’honneur et la vie ? Mais comment le sauver ? Je devrais pour cela ne tenir aucun compte des découvertes du père Tabaret et lui imposer la complicité du silence. Il faudra volontairement faire fausse route, courir avec Gévrol après un meurtrier chimérique. Est-ce praticable ? D’ailleurs, épargner Albert, c’est déchirer les titres de Noël ; c’est assurer l’impunité de la plus odieuse des trahisons. Enfin, c’est encore et toujours sacrifier la justice à ma passion.

Le magistrat souffrait.

Comment prendre un parti au milieu de tant de perplexités, tiraillé par des intérêts divers ?

Il flottait indécis entre les déterminations les plus opposées, son esprit oscillait d’un extrême à l’autre.

Que faire ? Sa raison, après un nouveau choc si imprévu, cherchait en vain son équilibre.

— Reculer, se disait-il ; où donc serait mon courage ? Ne dois-je pas rester le représentant de la loi que rien n’émeut et que rien ne touche ? Suis-je si faible qu’en revêtant ma robe je ne sache pas me dépouiller de ma personnalité ? Ne puis-je, pour le présent, faire abstraction du passé ? Mon devoir est de poursuivre l’enquête. Claire elle-même m’ordonnerait d’agir ainsi. Voudrait-elle d’un homme souillé d’un soupçon ? Jamais. S’il est innocent, qu’il soit sauvé ; s’il est coupable, qu’il périsse !

C’était fort bien raisonné, mais, au fond de son