Page:Gaboriau - L’Affaire Lerouge.djvu/345

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positivement j’ai voulu l’assassiner. Je l’ai tenu au bout de mon revolver : pourquoi n’ai-je pas lâché la détente ? Est-ce que je le sais ? Quelle puissance a retenu mon doigt lorsqu’il suffisait d’une pression presque insensible pour que le coup partît ? Je ne puis le dire. Que fallait-il pour qu’il fût le juge et moi l’assassin ? Si l’intention était punie comme le fait, on devrait me couper le cou. Et c’est dans de pareilles conditions que j’ose l’interroger !…

En repassant devant la porte, il entendit dans la galerie le pas lourd des gendarmes.

— Le voilà ! dit-il tout haut.

Et il regagna précipitamment son fauteuil derrière son bureau, se penchant à l’ombre des cartons, comme s’il eût cherché à se cacher.

Si le long greffier eût eu des yeux, il eût assisté à ce singulier spectacle d’un juge plus troublé que le prévenu. Mais il était aveugle, et à ce moment il ne songeait qu’à une erreur de quinze centimes qui s’était glissée dans ses comptes, et qu’il ne pouvait retrouver.

Albert entra le front haut dans le cabinet du juge. Ses traits portaient les traces d’une grande fatigue et de veilles prolongées ; il était très-pâle, mais ses yeux étaient clairs et brillants.

Les questions banales qui commencent les interrogatoires donnèrent à M. Daburon le temps de se remettre.