Page:Gaboriau - L’Affaire Lerouge.djvu/429

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Déjà, dans la matinée, il avait reçu un rapport l’informant heure par heure des faits, gestes et dires du prisonnier habilement espionné. Rien en lui, déclarait le compte-rendu, ne décelait le coupable. Il avait paru fort triste, mais non accablé. Il n’avait point crié, ni menacé, ni maudit la justice, ni même parlé d’erreur fatale. Après avoir mangé légèrement, il s’était approché de la fenêtre de sa cellule et y était resté appuyé plus d’une grande heure. Ensuite il s’était couché et avait paru dormir paisiblement.

— Quelle organisation de fer ! pensa M. Daburon, quand le prévenu entra dans son cabinet.

C’est qu’Albert n’avait plus rien du malheureux qui, la veille, étourdi par la multiplicité des charges, surpris par la rapidité des coups, se débattait sous le regard du juge d’instruction et semblait près de défaillir. Innocent ou coupable, son parti était pris. Sa physionomie ne laissait aucun doute à cet égard. Ses yeux exprimaient bien cette résolution froide d’un sacrifice librement consenti, et une certaine hauteur qu’on pouvait prendre pour du dédain, mais qu’expliquait un généreux ressentiment de l’injure. En lui on retrouvait l’homme sûr de lui que le malheur fait chanceler, qu’il ne renverse pas.

À cette contenance, le juge comprit qu’il devait changer ses batteries. Il reconnaissait une de ces natures que l’attaque provoque à la résistance et que