Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/197

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Comme la veille, le temps était superbe, et à tout moment des groupes de femmes et de jeunes gens le dépassaient. Ils se rendaient, ceux-là, à quelque partie de campagne, et ils étaient déjà loin, qu’on entendait encore leurs éclats de rire.

Dans les guinguettes, au bord de l’eau, sous les tonnelles dont les chèvrefeuilles bourgeonnaient, des ouvriers buvaient, choquant leurs verres.

Tous ces gens paraissaient heureux et contents, et cette gaîté semblait à Hector insulter sa misère présente. N’y avait-il donc que lui de malheureux au monde ! Il avait soif, cependant, une soif intense, insupportable.

Aussi, arrivé au pont de Sèvres, il quitta la route et descendant la berge, assez rapide à cet endroit, il gagna le bord de la Seine. Il se baissa, puisa de l’eau dans le creux de sa main, et but.

Une lassitude invincible l’accablait. Il y avait là de l’herbe, il s’assit ou plutôt se laissa tomber. La fièvre du désespoir venait, et la mort maintenant lui apparaissait comme un refuge ; il songeait presque avec joie que sa pensée allait être anéantie et qu’il ne souffrirait plus.

Au-dessus de lui, à quelques mètres, étaient les fenêtres ouvertes d’un des restaurants de Sèvres.

On pouvait le voir de là aussi bien que du pont, mais il ne s’en inquiétait pas, il ne s’inquiétait plus de rien.

— Autant ici qu’ailleurs ! se dit-il.

Déjà il armait son pistolet lorsqu’il s’entendit appeler :

— Hector ! Hector !…

D’un bond il fut debout, cachant son arme, cherchant qui criait ainsi son nom.

Sur la berge, à cinq pas, un homme courait vers lui, les bras tendus.

C’était un homme de son âge, un peu gros peut-être, mais bien pris, avec une bonne figure épanouie, éclairée par de grands yeux noirs, où éclataient la franchise et la bonté, un de ces hommes sympathiques à première vue, qu’on aime quand on les connaît depuis huit jours.