Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

meilleur ami ; il me recommande d’avoir en vous la confiance la plus absolue et de suivre vos conseils.

— C’est cela. Ce matin, votre brave homme de père me dit : Verduret — c’est mon nom — Verduret, mon fils est dans le pétrin, il faut l’en sortir. J’ai répondu : « Présent, » et me voilà. La glace est rompue, n’est-ce pas ? Alors, arrivons à la chose. Que comptez-vous faire ?

Cette question ralluma toutes les colères du caissier, ses yeux lancèrent des éclairs.

— Ce que je compte faire ? répondit-il d’une voix frémissante ; je veux trouver le misérable qui m’a perdu, le livrer à la justice, me venger enfin !

— Naturellement. Et avez-vous quelque moyen d’arriver à ce but ?

— Aucun ; et cependant je réussirai, parce qu’un homme qui donne sa vie entière à une tâche, qui s’éveille chaque matin voulant ce qu’il a voulu la veille est sûr de réussir.

— Bien dit, M. Prosper, et tenez, franchement, je m’attendais à vous trouver ces dispositions. Et la preuve, c’est que j’ai réfléchi et cherché pour vous. Je tiens un plan. Pour commencer, vous allez vendre votre mobilier, quitter cette maison et disparaître.

— Disparaître ! s’écria le caissier révolté, disparaître ! Y pensez-vous, monsieur, ce serait m’avouer coupable, ce serait autoriser tout le monde à dire que je me cache pour jouir en paix des 350,000 fr. volés.

— Eh bien ! après ? dit froidement l’homme aux favoris roux ; ne venez-vous pas de m’affirmer que le sacrifice de votre vie est fait ? Le nageur habile, que des malfaiteurs jettent à l’eau, se garde bien de revenir immédiatement à la surface ; il plonge, au contraire, il nage sous l’eau tant que sa respiration le lui permet, il reparaît le plus loin possible, il prend terre hors de vue, et c’est quand on le croit perdu, noyé, qu’il surgit tout à coup et se venge. Vous avez un ennemi ? Une imprudence seule peut le livrer. Mais tant qu’il vous verra debout, il aura peur.