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Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/357

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singulière obstination le terrain des confidences sur lequel il s’efforçait de l’attirer.

Son abandon n’était-il donc qu’une comédie ? Les défiances de Louis se réveillaient, il regrettait presque sa dépêche optimiste de la veille.

Mais rien des pensées fâcheuses qui s’agitaient au dedans de lui n’apparaissaient à la surface. Sa figure était calme et souriante, sa voix joyeuse.

Il lui fallut tout voir en détail, la maison d’abord, puis les servitudes, les écuries, le chenil, puis le jardin, vaste et bien planté, au bout duquel le gave, sur son lit de cailloux, chantait sa chanson montagnarde.

À l’extrémité d’une jolie prairie se trouvait l’usine en pleine activité. Gaston, qui en était encore aux enchantements d’un nouveau propriétaire, ne fit grâce à son frère ni d’une lime ni d’un marteau.

Il lui disait ses projets futurs, comment il comptait substituer le bois à la houille, faire mieux, et réaliser encore des économies en exploitant des richesses forestières jugées jusqu’alors impossibles à atteindre.

Louis approuvait tout ; il applaudissait, mais il ne répondait que par monosyllabes.

— Oui ! en effet ! très-bien !…

C’est qu’une nouvelle douleur, qu’il lui fallait dissimuler comme les autres, le torturait maintenant. Cette prospérité, dont l’évidence sautait aux yeux, le désolait.

Comparant au sien le sort de son frère, tous les aiguillons empoisonnés de la jalousie déchiraient son âme envieuse. Il voyait Gaston, riche, heureux, honoré, recueillant le prix de son courage, tandis, que lui… Jamais il n’avait si cruellement ressenti l’horreur d’une situation qui était son œuvre.

À vingt ans de distance, les sentiments honteux et vils qui lui avaient fait haïr son frère revenaient.

Cependant l’inspection était terminée.

Que dis-tu de mes acquisitions ? demanda joyeusement Gaston.

— Je dis, cher frère, que tu possèdes au milieu du