Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/382

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tu que je puisse consentir à te dépouiller de ton vivant ? Tant que tu vis ce que tu as est à moi, c’est entendu ; si tu meurs, je suis ton héritier, que veux-tu de plus ?

Vaines paroles ! Gaston n’était pas de ces hommes dont un rien fait vaciller la faible volonté.

Lorsqu’après mûre délibération il avait pris une résolution, il la poursuivait quand même, jusque dans ses dernières conséquences, quoi que pussent dire ou faire ceux qui l’entouraient.

Après une longue et héroïque résistance qui fit éclater et son beau caractère et son rare désintéressement, Louis, à bout d’arguments, pressé par le médecin, se décida à apposer sa signature sur les traités rédigés par l’avocat.

C’en était fait. Il était désormais pour la justice humaine, pour tous les tribunaux du monde, l’associé de son frère, le possesseur de la moitié de ses biens.

Et cette possession était définitive. Gaston eut voulu revenir sur ses déterminations, qu’il ne l’eût pu, tous les actes ayant été revêtus des formalités légales.

Les plus étranges sensations remuaient alors le complice de Raoul.

Il perdait presque la tête, égaré par ce délire passager des gens qui, brusquement, sans transition, par hasard ou par accident, passent de la misère à l’opulence.

Que Gaston vécût ou mourût, Louis possédait légitimement, honnêtement, vingt-cinq mille livres de rentes, même en ne comptant pour rien les bénéfices aléatoires de l’usine.

En aucun temps, il n’avait osé ni espérer, ni rêver une telle richesse. Ses vœux n’étaient pas seulement accomplis, ils étaient dépassés. Que lui manquait-il désormais ?

Hélas ! il lui manquait la possibilité de jouir en paix de cette aisance : elle arrivait trop tard.

Cette fortune, qui lui tombait du ciel et qui eût dû le remplir de joie, emplissait son cœur de tristesse et de colère.