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Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/185

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tel métier vos mains sont-elles si blanches et si soignées ?

Loin de paraître embarrassé, le prévenu étala ses mains et les examina avec une visible complaisance.

— C’est vrai, au moins, fit-il, qu’elles sont jolies… c’est que je les soigne.

— On vous entretient donc à ne rien faire ?

— Ah !… mais non !… Seulement, monsieur le juge, je suis, moi, pour parler au public, pour « tourner le compliment, » pour faire le boniment, comme on dit… et, sans me flatter, j’ai une certaine capacité.

M. Segmuller se caressait le menton, ce qui est son tic lorsqu’il suppose qu’un prévenu s’enferre.

— En ce cas, dit-il, veuillez me donner un échantillon de votre talent.

— Oh !… fit l’homme, semblant croire à une plaisanterie, oh !…

— Obéissez, je vous prie, insista le juge.

Le meurtrier ne se défendit plus. À la seconde même, sa mobile physionomie prit une expression toute nouvelle, mélange singulier de bêtise, d’impudence et d’ironie.

En guise de baguette, il prit une règle sur le bureau du juge, et d’une voix fausse et stridente, avec des intonations bouffonnes, il commença :

« Silence, la musique !… Et toi, la grosse caisse, la paix !… Voici, messieurs et dames, l’heure, l’instant et le moment de la grrrande et unique représentation du théâtre des prestiges, sans pareil au monde pour le trapèze et la danse de corde, les élévations et les dislocations, et autres exercices de grâce, de souplesse et de force, avec