Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/272

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camisole de force, mais son humeur est changée du tout au tout. Il mange de bon appétit, il est gai comme un pinson, il plaisante avec les gardiens…

— Bast ! fit le Général, en se voyant pincé, le désespoir l’avait pris… Puis il a réfléchi qu’il sauverait probablement sa tête, que la vie au bagne est encore la vie, et que d’ailleurs on sort du bagne.

Le juge et le jeune policier avaient échangé un regard inquiet. Cette gaieté du soi-disant saltimbanque pouvait n’être que la suite de son rôle ; mais elle pouvait aussi venir de la certitude acquise de déjouer les investigations, et qui sait ?… de quelque nouvelle favorable reçue du dehors.

Cette dernière supposition s’offrit si vivement à l’esprit de M. Segmuller, qu’il tressaillit.

— Êtes-vous sûr, monsieur le directeur, demanda-t-il, que nulle communication du dehors ne peut parvenir aux prévenus qui sont au secret ?

Ce doute parut blesser vraiment le digne fonctionnaire. Suspecter ses cachots !… Autant le suspecter lui-même ! Il ne put s’empêcher de lever les bras au ciel comme pour le prendre à témoin de ce blasphème insensé.

— Si j’en suis sûr !… s’écria-t-il. Mais vous n’avez donc jamais visité les secrets ! Vous n’avez donc jamais vu le luxe de précautions qui les entoure, les triples barreaux, les hottes qui interceptent le jour… Et je ne compte pas le factionnaire qui nuit et jour se promène sous les fenêtres. C’est-à-dire qu’une hirondelle, une hirondelle même n’arriverait pas jusqu’aux prisonniers.

Cette seule description devait rassurer.