Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/297

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jour il ajoutait à son rôle une perfection nouvelle, pareil à l’homme qui s’habitue à un vêtement étranger où d’abord il s’était trouvé gêné.

Son assurance, en présence du juge, grandissait, comme s’il eût été plus sûr de soi, comme s’il eût pu, en dépit de sa séquestration et des rigueurs du secret, acquérir cette certitude que l’instruction n’avait point avancé d’un pas.

À un de ses derniers interrogatoires, il avait osé dire, non sans une nuance très-saisissable d’ironie :

— Me garderez-vous donc encore longtemps au secret, monsieur le juge ?… Ne serai-je pas remis en liberté ou envoyé devant la cour d’assises ? Dois-je souffrir longtemps de cette idée qui vous est venue, je me demande comment, que je suis un gros personnage !…

— Je vous garderai, avait répondu M. Segmuller, tant que vous n’aurez pas avoué.

— Avoué quoi ?…

— Oh ! vous le savez bien…

Cet homme indéchiffrable avait alors haussé les épaules, et de ce ton moitié triste, moitié goguenard qui lui était habituel, il avait répondu :

— En ce cas, je ne me vois pas près de sortir de ce cabanon maudit !…

C’est en raison de cette conviction, sans doute, qu’il parut prendre ses dispositions pour une détention indéfinie.

Il avait obtenu qu’on lui remît une partie des effets contenus dans sa malle, et il avait témoigné une joie d’enfant en rentrant en possession de ses affaires.