Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/429

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un sifflement moqueur du père Tabaret interrompit le jeune policier.

— Il paraît, prononça le bonhomme, que tu as oublié la dernière phrase de la biographie : « M. de Sairmeuse laisse derrière lui des haines terribles… » Sais-tu de quel prix on lui eût fait payer sa liberté ? Non… ni moi non plus. Ce que nous savons, c’est que ce n’est pas son parti qui triomphe… Pour expliquer sa présence à la Poivrière… et la présence d’une femme qui peut-être était la sienne, qui sait quels secrets d’infamie il eût été obligé de livrer… Entre le suicide et la honte, il a choisi le suicide… Il a voulu sauver son nom… il s’est fait un linceul de son honneur intact.

Le père Tirauclair s’exprimait avec une véhémence si extraordinaire, que le vieil Absinthe en était remué, bien qu’il n’eût pas, en vérité, compris grand chose à cette scène.

Il s’enthousiasmait de confiance.

Quant à Lecoq, il se dressa, pâle et les lèvres un peu tremblantes, comme un homme qui vient de prendre une suprême détermination.

— Vous excuserez ma supercherie, monsieur Tabaret, fit-il d’une voix émue. Tout cela, je l’avais pensé… Mais je me défiais de moi, je voulais vous l’entendre dire…

Il eut un geste insouciant, et ajouta :

— Maintenant, je sais ce que j’ai à faire.

Le père Tabaret leva les bras au ciel avec tous les signes de la plus terrible agitation.

— Malheureux !… s’écria-t-il, aurais-tu la pensée d’aller arrêter le duc de Sairmeuse !… Pauvre Lecoq !… Libre, cet homme est presque tout-puissant, et toi, infime