Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/102

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couvent, en sa qualité de fille unique d’un grand seigneur archi-millionnaire, on l’avait entourée de tant d’adulations ! Le poison de la flatterie avait flétri en leur germe toutes ses bonnes qualités.

Elle n’avait pas dix-neuf ans, et elle ne pouvait plus être sensible qu’aux jouissances de la vanité ou de l’ambition satisfaites. Elle pensait à un tabouret à la cour, comme une pensionnaire rêve d’un amoureux…

Si elle avait daigné remarquer Martial, — car elle l’avait remarqué, — c’est que son père lui avait dit que ce jeune homme emporterait sa femme aux plus hautes sphères du pouvoir. Là dessus, elle avait prononcé un « c’est bien, nous verrons ! » à faire fuir un prétendant à mille lieues…

Cependant, Martial, craignant d’être surpris, s’avança et Mlle Blanche, à sa vue, se dressa avec un mouvement de biche effarouchée…

Lui s’inclina bien bas, et d’une voix amicalement respectueuse :

— M. de Courtomieu, mademoiselle, dit-il, ayant eu l’imprudence de m’apprendre où j’aurais l’honneur de vous rencontrer, je ne me suis plus senti le courage d’affronter des discussions graves… seulement…

Il montra la lettre que la jeune fille tenait à la main et ajouta :

— Seulement, je suis peut-être indiscret ?

— Oh ! en aucune façon, monsieur le marquis, quoique cette lettre que je viens de lire m’ait profondément émue… elle m’est adressée par une pauvre enfant à qui je m’intéressais, que j’envoyais chercher, parfois, quand je m’ennuyais : Marie-Anne Lacheneur.

Exercé dès son enfance à la savante hypocrisie des salons, le jeune marquis de Sairmeuse avait habitué son visage à ne rien trahir de ses impressions.

Il savait rester riant avec l’angoisse au cœur, grave quand le fou-rire eût dû le secouer de ses hoquets.

Et cependant, à ce nom de Marie-Anne montant aux lèvres de Mlle de Courtomieu, son œil, où la satisfaction