Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/122

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j’endure, et que vous me torturez comme il n’est pas possible !… Non, je n’ai rien à vous dire ; non, il n’y a rien à dire à mon père !… Pourquoi venir ébranler mon courage, quand je n’ai pas trop de toute mon énergie pour combattre le désespoir !… Que Maurice m’oublie, et que jamais il ne cherche à me revoir… Il est de ces destinées contre lesquelles on ne lutte pas, ce serait folie, nous sommes séparés pour toujours. Suppliez Maurice de quitter ce pays, et s’il refuse, vous êtes son père, commandez. Et vous-même, monsieur, au nom du ciel, fuyez-nous, nous portons malheur… Gardez-vous de jamais revenir ici, notre maison est maudite, la fatalité qui pesa sur nous vous atteindrait…

Elle parlait avec une sorte d’égarement, et si haut que sa voix devait arriver à la pièce voisine.

La porte de communication s’ouvrit, et M. Lacheneur se montra sur le seuil.

À la vue de M. d’Escorval, il ne put retenir un blasphème. Mais il y avait plus de douleur et d’anxiété que de colère, dans la façon dont il dit :

— Vous, monsieur le baron, vous ici !…

Le trouble où Marie-Anne avait jeté M. d’Escorval était si grand qu’il eut toutes les peines du monde à balbutier une apparence de réponse :

— Vous nous abandonniez, j’étais inquiet ; avez-vous oublié notre vieille amitié, je viens à vous…

Les sourcils de l’ancien maître de Sairmeuse restaient toujours froncés.

— Pourquoi ne m’avoir pas prévenu de l’honneur que me fait M. le baron, Marie-Anne ? dit-il sévèrement à sa fille…

Elle voulut parler, elle ne le put, et ce fut le baron, dont le sang-froid revenait, qui répondit :

— Mais j’arrive à l’instant, mon cher ami.

M. Lacheneur enveloppait d’un même regard soupçonneux sa fille et le baron.

— Que se sont-ils dit, pensait-il évidemment, pendant qu’ils étaient seuls ?