Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/123

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Mais si grandes que fussent ses inquiétudes, il parvint à en maîtriser l’expression, et c’est presque de sa bonne voix d’autrefois, sa voix des temps heureux, qu’il engagea M. d’Escorval à le suivre dans la chambre voisine.

— C’est le salon de réception et mon cabinet de travail, dit-il en souriant.

Cette pièce, beaucoup plus grande que la première, était tout aussi sommairement meublée, mais elle était encombrée de petits volumes et d’une quantité infinie de menus paquets.

Deux hommes étaient occupés à ranger ces paquets et ces livres.

L’un était Chanlouineau.

M. d’Escorval ne se rappelait pas avoir jamais vu l’autre, qui était tout jeune.

— C’est mon fils Jean, monsieur le baron, dit Lacheneur… Dame !… il a changé depuis tantôt dix ans que vous ne l’avez vu.

C’était vrai… Il y avait bien dix bonnes années au moins que le baron d’Escorval n’avait en l’occasion de voir le fils de Lacheneur.

Comme le temps passe !… Il l’avait quitté enfant, il le retrouvait homme.

Jean venait d’avoir vingt ans, mais des traits fatigués et une barbe précoce le faisaient paraître plus vieux.

Il était grand, très-bien de sa personne, et sa physionomie annonçait une vive intelligence.

Malgré cela, il ne plaisait pas à première vue. Il y avait en lui un certain « on ne sait quoi » qui effarouchait la sympathie. Son regard mobile fuyait le regard de l’interlocuteur, son sourire offrait le caractère de l’astuce et de la méchanceté.

— Ce garçon, pensa M. d’Escorval, doit être faux comme un jeton.

Présenté par son père, il s’était incliné devant le baron, profondément, mais avec une mauvaise grâce très-appréciable.