Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/128

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Il n’y avait plus à douter. M. d’Escorval saisit les poignets de Lacheneur, et les serrant à les briser :

— Malheureux !… dit-il d’une voix sourde, que voulez-vous faire ! quelle vengeance terrible rêvez-vous !…

— Je vous jure…

— Oh ! ne jurez pas. On ne trompe pas un homme de mon âge et de mon expérience. Vos projets, je les devine… vous haïssez les Sairmeuse plus mortellement que jamais.

— Moi !…

— Oui, vous… et si vous semblez oublier, c’est afin qu’ils oublient, eux aussi… Ces gens-là vous ont trop cruellement offensé pour ne pas vous craindre, vous le comprenez bien, et vous faites tout au monde pour les rassurer… Vous allez au devant de leurs avances, vous vous agenouillez devant eux… pourquoi ?… Parce que vous êtes sûr qu’ils seront à vous quand vous aurez endormi leurs défiances, et que vous pourrez les frapper plus sûrement…

Il s’arrêta, on ouvrait la porte de communication. Marie-Anne parut :

— Mon père, dit-elle, voici M. le marquis de Sairmeuse.

Ce nom, que Marie-Anne jetait d’une voix effrayante de calme, au milieu d’une explication brûlante, ce nom de Sairmeuse empruntait aux circonstances une telle signification, que M. d’Escorval fut comme pétrifié.

— Il ose venir ici, pensa-t-il. Comment ne craint-il pas que les murs ne s’écroulent sur lui !…

M. Lacheneur avait foudroyé sa fille du regard. Il la soupçonnait d’une ruse qui pouvait le forcer à se découvrir. En une seconde, les plus furieuses passions contractèrent ses traits.

Mais il se remit, par un prodige de volonté. Il courut à la porte, repoussa Marie-Anne, et s’appuyant à l’huisserie, il se pencha dans la première pièce, en disant :

— Daignez m’excuser, monsieur le marquis, si je