Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/136

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— Sa Majesté a des bontés pour moi… j’obtiendrai pour Martial un poste diplomatique important…

— Moi, j’ai, en cas de malheur, beaucoup d’amis dans l’opposition…

Le traité était conclu, mais M. de Courtomieu se garda bien d’en parler à sa fille. Lui dire combien il souhaitait cette alliance, eût été lui donner l’idée de la repousser. Laisser aller les choses lui parut le plus sûr…

La justesse de ses calculs lui fut démontrée, un matin que Mlle Blanche fit irruption dans son cabinet.

— Ta capricieuse fille est décidée, père, lui dit-elle péremptoirement… elle serait heureuse de devenir la marquise de Sairmeuse.

Il fallut à M. de Courtomieu beaucoup de volonté pour dissimuler la joie qu’il ressentait ; mais il songea qu’en en laissant apercevoir quelque chose, il perdrait peut-être tout.

Il présenta quelques objections, elles furent vivement combattues, et enfin, il osa dire :

— Voici donc un mariage à moitié fait. Déjà une des parties consent. Reste à savoir si l’autre…

— L’autre consentira, déclara l’orgueilleuse héritière.

Et dans le fait, depuis plusieurs jours déjà, Mlle Blanche appliquait toutes ses facultés à l’œuvre de séduction qui devait faire tomber Martial à ses genoux.

Après s’être avancée, avec une inconséquence calculée, sûre de l’impression produite, elle battait en retraite, manœuvre trop simple pour ne pas réussir toujours.

Autant elle s’était montrée vive, spirituelle, coquette, rieuse, autant peu à peu elle devint timide et réservée. La pensionnaire étourdie parut s’effacer sous la vierge.

Elle joua pour Martial, et avec quelle perfection ! cette comédie divine du premier amour. Il put observer les naïves pudeurs et les chastes appréhensions de ce cœur qui semblait s’éveiller pour lui. Paraissait-il, Mlle Blanche rougissait et se taisait. Pour un mot elle devenait confuse. On ne vit plus ses beaux yeux qu’à travers les franges soyeuses de ses sourcils.