Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/144

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— Quel héroïsme de dissimulation ! pensa-t-elle.

Puis, tout haut, avec un effort de gaieté, elle reprit :

— Et le pays verra deux noces en même temps, car vous allez vous marier aussi, ma chérie ?…

— Moi !…

— Oui, vous… vilaine cachottière ! Tout le monde sait bien que vous épousez un jeune homme des environs, qui se nomme… attendez… je sais… Chanlouineau !

Ainsi ce bruit qui désolait Marie-Anne lui revenait de tous les côtés, ironique, persistant.

— Tout le monde se trompe, dit-elle avec trop d’énergie, jamais je ne serai la femme de ce jeune homme.

— Tiens !… pourquoi donc ? On le dit très-bien de sa personne et assez riche…

— Parce que… balbutia Marie-Anne, parce que…

Le nom de Maurice d’Escorval montait à ses lèvres, malheureusement elle ne le prononça pas, arrêtée qu’elle fut par un regard étrange de son ancienne amie. Que de destinées ont tenu à une circonstance tout aussi futile en apparence !

— Coquine !… pensait Mlle Blanche, impudente !… il lui faudrait un marquis de Sairmeuse.

Et comme Marie-Anne s’embarrassait à chercher une excuse plausible, elle reprit d’un ton froid et railleur qui laissait à la fin deviner toutes ses rancunes.

— Vous avez tort, ma chère, croyez-moi, de refuser ce parti. Ce Chanlouineau vous éviterait, en tout cas, la pénible obligation de travailler de vos mains et d’aller de porte en porte quêter de l’ouvrage qu’on vous refuse. Mais n’importe, je serai, moi — elle appuyait sur ce mot — plus généreuse que vos anciennes connaissances… J’ai des bandes de jupons à broder, je vous les enverrai par ma femme de chambre, vous vous entendrez ensemble pour le prix… Allons, adieu, ma chère !… Viens-tu, tante Médie ?

Elle partit en ricanant, laissant Marie-Anne pétrifiée de surprise, de douleur et d’indignation.