Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/145

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Sans avoir l’expérience de Mlle Blanche, elle comprenait bien que cette visite étrange cachait quelque mystère, mais lequel ?

Après plus d’une minute, elle était encore immobile à la même place, au milieu du jardin, regardant s’éloigner cette amie de sa prospérité, quand une main s’appuya légèrement sur son bras.

Elle tressaillit, se retourna vivement… et se trouva en face de son père.

Lacheneur était plus blanc que le col de sa chemise, et ses yeux brillaient d’un sinistre éclat.

— J’étais là, dit-il en montrant la porte de sa maison, j’ai tout entendu…

— Mon père…

— Quoi !… voudrais-tu par hasard la défendre, après qu’elle a eu l’infamie de venir ici, chez toi, t’écraser de son insolent bonheur, après qu’elle t’a accablée de son ironique pitié et de ses mépris !… Va ! je te l’avais dit, elles sont toutes ainsi, ces filles à qui la vanité a tourné la tête, et qui se croient dans les veines un autre sang que le nôtre… Mais patience !… Le jour de notre revanche luira…

Ils eussent frémi, ceux qu’il menaçait, s’ils l’eussent entendu et vu en ce moment, tant il y avait de rage dans son accent, tant il paraissait formidable.

— Et toi, reprit-il, ma fille bien-aimée, ma pauvre Marie-Anne ; toi, tu n’as rien compris aux outrages de cette noble héritière… Tu te demandes, n’est-ce pas, dans ton innocence, quelles raisons elle a de t’en vouloir ?… Eh bien ! je vais te les dire : elle s’imagine que le marquis de Sairmeuse est ton amant.

Marie-Anne chancela sous ce coup terrible et un spasme nerveux la secoua de la nuque aux talons.

— Est-ce possible !… balbutia-t-elle, grand Dieu… quelle honte !… quelle humiliation !…

— Eh bien ! reprit froidement Lacheneur, qu’y a-t-il là qui t’étonne ?… Ne t’attendais-tu pas à cela, le jour où, fille dévouée, tu t’es résignée, pour servir mes des-