Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/169

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Une inexprimable horreur contracta pendant dix secondes les traits de Lacheneur. Il était visible pour tous qu’il était remué jusqu’au plus profond de ses entrailles.

Qui peut dire ce qui fût advenu sans l’intervention de Chanlouineau.

Le robuste gars s’avança, brandissant son fusil double :

— Par le saint nom de Dieu !… s’écria-t-il, voici bien du temps perdu en bavardages inutiles !…

Lacheneur bondit comme sous un coup de fouet. Il se dégagea brusquement et s’élança en selle :

— Partons !… commanda-t-il.

Mais le baron et l’abbé ne désespéraient pas encore, ils s’étaient jetés à la tête du cheval.

— Lacheneur, cria le prêtre, insensé, prenez garde !… Le sang que vous allez faire répandre retombera sur votre tête et sur la tête de vos enfants !…

Epouvantée de ces accents prophétiques, la petite troupe s’arrêta…

Alors sortit des rangs et s’avança un des complices, vêtu comme les paysans des environs de Sairmeuse…

— Marie-Anne !… s’écrièrent en même temps l’abbé et le baron stupéfaits…

— Oui, moi !… répondit la jeune fille, en retirant le large chapeau qui cachait en partie son visage, moi qui veux ma part des dangers de ceux qui me sont chers, ma part de la victoire ou de la défaite… Vos conseils viennent trop tard, messieurs. Vous voyez ces lueurs à l’horizon ?… Elles nous annoncent que les gens de ces communes se rendent en armes au carrefour de la Croix-d’Arcy, à une lieue de Montaignac, où est le rendez-vous général… Avant deux heures, il y aura là quinze cents hommes dont mon père doit prendre le commandement… Et vous voudriez qu’il laissât sans chef ces soldats qu’il est allé arracher à leurs foyers ?… C’est impossible !…

L’exaltation de son père et de son amant l’avait gagnée, elle partageait leur folie, si elle ne partageait pas