Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tit furieusement et enfin, perdant plante, tomba en criant d’une voix formidable :

— À moi !… les amis, à moi !…

Nul ne répondit à son appel.

À l’autre extrémité du carrefour, les conjurés, après une lutte désespérée, combat d’hommes qui ont fait la sacrifice de leur vie, les conjurés cédaient…

Le gros de l’infanterie du duc de Sairmeuse accourait.

On entendait les tambours battant la charge, on apercevait les armes brillant dans la nuit.

Lacheneur, qui était resté à la même place, immobile sous les balles, sentit que ses derniers compagnons allaient être écrasés.

En ce moment suprême, le passé lui apparut fulgurant et rapide comme l’éclair. Il se vit et se jugea. La haine l’avait conduit au crime. Il se fit horreur, pour les hontes qu’il avait imposées à sa fille. Il se maudit pour les mensonges dont il avait abusé tous ces braves gens qui se faisaient tuer…

C’était assez de sang comme cela, ceux qui restaient, il fallait les sauver.

— Cessez le feu !… mes amis, commanda-t-il, retirez-vous…

On lui obéit… et il put voir comme des ombres qui s’éparpillaient dans toutes les directions.

Il pouvait fuir aussi, lui, ne montait-il pas un vaillant cheval qui l’emporterait vite loin de l’ennemi !…

Mais il s’était juré qu’il ne survivrait pas au désastre ; déchiré de remords, désespéré, fou de douleur et de rage impuissante, il ne voyait d’autre refuge que la mort…

Il eût pu l’attendre, elle approchait ; il aima mieux courir au-devant d’elle. Il rassembla son cheval, l’enleva de la bride et des éperons et le lança sur les soldats du duc de Sairmeuse.

Le choc fut rude, les rangs s’ouvrirent, et il y eut un instant de mêlée furieuse…