Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/210

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— Dieu soit loué !… s’écria Maurice ; le père de Marie-Anne est sauvé !… Il avait un bon cheval, et en deux heures…

Un coup de coude et un coup d’œil de l’abbé Midon l’arrêtèrent.

L’abbé lui montrait l’homme arrêté près d’eux… Cet homme n’était autre que Chupin.

Le vieux maraudeur les avait reconnus aussi, car il se découvrit devant le curé de Sairmeuse, et avec des regards où flamboyaient les plus ardentes convoitises, il dit : — Vingt mille francs !… c’est une somme cela ! En la plaçant à fonds perdus, on vivrait des revenus sa vie durant !…

L’abbé Midon et Maurice frissonnaient en remontant en voiture. Il leur avait été impossible de se méprendre à l’accent de Chupin.

L’énormité de la somme promise avait ébloui le misérable et le fascinait jusqu’à ce point de lui arracher son masque de cautèle accoutumée.

Il s’était trahi. Il avait laissé entrevoir ses détestables projets et quelles espérances abominables s’agitaient dans les boues de son âme.

— Lacheneur est perdu si cet homme découvre sa retraite, murmura le curé de Sairmeuse.

— Par bonheur, répondit Maurice, il doit avoir franchi la frontière, il y a cent à parier contre un qu’il est désormais hors de toute atteinte.

— Et si vous vous trompiez ?… Si, blessé et perdant son sang, Lacheneur n’avait eu que bien juste la force de se traîner jusqu’à la maison la plus proche pour y demander l’hospitalité ?…

— Oh !… monsieur l’abbé, je connais nos paysans !… Il n’en est pas un qui soit capable de vendre lâchement un proscrit !…

Ce noble enthousiasme de la jeunesse arracha au prêtre le douloureux sourire de l’expérience.

— Vous oubliez, reprit-il, les menaces affichées à côté des provocations à la trahison et au meurtre. Tel qui ne