Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/223

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L’œil de Chanlouineau, pendant cette déposition, dut révéler quelque chose de ses angoisses. Les soldats parleraient-ils de cette circonstance de la voiture ? Non, ils n’en parlèrent pas.

— Il suffit !… interrompit le président. Et se tournant vers Chanlouineau :

— Quels étaient vos projets ? interrogea-t-il.

— Nous espérions nous débarrasser d’un gouvernement imposé par l’étranger, nous voulions nous affranchir de l’insolence des nobles et garder nos terres…

— Assez !… Vous étiez un des chefs de la révolte ?

— Un des quatre chefs, oui…

— Quels étaient les autres ?

Un sourire inaperçu glissa sur les lèvres du robuste gars, il parut se recueillir et dit :

— Les autres étaient M. Lacheneur, son fils Jean et le marquis de Sairmeuse.

M. le duc de Sairmeuse bondit sur son fauteuil doré.

— Misérable !… s’écria-t-il, coquin !… vil scélérat !… Il avait empoigné une lourde écritoire de plomb placée devant lui, et on put croire qu’il allait la lancer à la tête de l’accusé…

Chanlouineau demeurait seul impassible au milieu de cette assemblée, extraordinairement émue de son étrange déclaration.

— Vous m’interrogez, reprit-il, je réponds. Faites-moi mettre un bâillon, si mes réponses vous gênent… S’il y avait ici des témoins pour moi, comme il y en a contre, ils vous diraient si je ments… Mais tous les accusés qui sont là peuvent vous assurer que je dis la vérité… N’est-ce pas, vous autres ?…

À l’exception du baron d’Escorval, il n’était pas un accusé capable de comprendre la portée des audacieuses allégations de Chanlouineau ; tous cependant approuvèrent d’un signe de tête.

— Le marquis de Sairmeuse était si bien notre chef, poursuivit le hardi paysan, qu’il a été blessé d’un coup de sabre en se battant bravement à mes côtés…