Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il le montrerait à M. Lainé, par exemple… ou à M. le duc de Richelieu, et, comme de juste, il leur en expliquerait la signification et la valeur… Cet écrit prouve-t-il, oui ou non, la complicité de M. le marquis de Sairmeuse ?… Avez-vous, oui ou non, osé juger et condamner à mort des infortunés qui n’étaient que les soldats de votre fils ?…

— Ah !… misérable !… interrompit le duc, scélérate, coquine, vipère…

Toutes les injures qui lui vinrent à la mémoire, il les égrena comme un chapelet. Il était hors de soi, il écumait, les yeux lui sortaient de la tête, il ne savait plus ce qu’il disait.

— Voilà, criait-il avec des gestes furibonds, voilà ce qu’il fallait craindre. Oui, j’ai des ennemis acharnés, oui, j’ai des envieux, qui donneraient leur petit doigt pour cette exécrable lettre… Ah ! s’ils la tenaient !… Ils obtiendraient une enquête… Et alors, adieu les récompenses éclatantes dues à mes services…

Qu’on nous envoie de Paris quelque coquin intéressé à notre perte, et il saura vite, marquis, vos relations avec Lacheneur… Il criera sur les toits que Chanlouineau en plein tribunal vous déclarait son complice et son chef… Il vous fera déshabiller par des médecins qui, voyant une cicatrice fraîche, vous demanderont où vous avez reçu une blessure et pourquoi vous l’avez cachée…

Après cela, de quoi ne m’accuserait-on pas ?… On dirait que j’ai brusqué la procédure pour étouffer les voix qui s’élevaient contre mon fils… Peut-être irait-on jusqu’à insinuer que je favorisais sous main le soulèvement… Je serais vilipendé dans tous les journaux !…

Et qui aurait, s’il vous plaît, renversé la fortune de notre maison quand j’allais la porter si haut ?… Vous seul, marquis…

Mais c’est ainsi… On se targue de diplomatie, de profondeur, de pénétration, on joue au Talleyrand et on se laisse jouer par le premier paysan venu…