Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/267

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On ne croit à rien, on doute de tout, on est froid, sceptique, dédaigneux, frondeur, railleur, usé, blasé… Mais qu’un cotillon paraisse, bssst !… On s’enflamme comme un séminariste et on est prêt à toutes les sottises… C’est à vous que je m’adresse, marquis… entendez-vous ?… parlez !… qu’avez-vous à dire ?…

Martial avait écouté d’un air froidement railleur, sans même essayer d’interrompre.

Il répondit lentement :

— Je pense, monsieur, que si Mlle Lacheneur avait quelques doutes sur la valeur du document qu’elle possède… elle ne les a plus.

Cette réponse devait tomber comme un seau d’eau glacée sur la colère du duc de Sairmeuse. Il vit et comprit sa folie, et tout épouvanté de ce qu’il venait de dire, il demeura stupide d’étonnement, bouche béante, les yeux écarquillés.

Sans daigner ajouter un mot, le marquis se retourna vers Marie-Anne.

— Voulez-vous nous dire, mademoiselle, demanda-t-il, ce qu’on exige de mon père en échange de cette lettre ?…

— La vie et la liberté du baron d’Escorval, monsieur.

Cela secoua le duc comme une décharge électrique.

— Ah !… s’écria-t-il, je savais bien qu’on me demanderait l’impossible !…

À son exaltation, un profond abattement succédait. Il se laissa tomber sur un fauteuil, et le front entre ses mains il se recueillit, cherchant évidemment un expédient.

— Pourquoi n’être pas venue me trouver avant le jugement, murmurait-il. Alors, je pouvais tout… Maintenant j’ai les mains liées. La commission a prononcé, il faut que le jugement s’exécute…

Il se leva, et du ton d’un homme résigné à tout :

— Décidément, fit-il, je risquerais à essayer seulement de sauver le baron — il lui rendait son titre, tant il était troublé — mille fois plus que je n’ai à craindre de mes ennemis. Ainsi, mademoiselle — il ne disait plus : « la belle » — vous pouvez utiliser votre… document.