Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/280

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— Comme vous le voyez, je me débarrasse de tout ce chanvre, qui me gênait extraordinairement. Il y en a bien soixante livres, n’est-ce pas ?… Et quel volume ! Je tremblais qu’on ne le devinât sous mon manteau.

— Et pourquoi ces cordes ?… interrogea le survenant.

— Je vais les faire passer à M. le baron d’Escorval, à qui j’ai déjà jeté une lime. Il faut qu’il s’évade cette nuit…

Si invraisemblable était cette scène, que le baron n’en voulait pas croire ses oreilles.

« — Il est clair que tout en me croyant fort éveillé, je rêve, » se disait-il.

Cependant le nouveau venu avait à demi étouffé un terrible juron, et d’un ton presque menaçant, il poursuivait :

— C’est ce qu’il faudra voir !… Si vous devenez fou, j’ai toute ma raison, Dieu merci !… Je ne permettrai pas…

— Pardon !… interrompit froidement l’homme à la corde, vous permettrez… Ceci est le résultat de votre… crédulité. C’est quand Chanlouineau vous demandait à recevoir la visite de Marie-Anne, qu’il fallait dire : « Je ne permets pas ! » Savez-vous ce qu’il voulait, ce garçon ? Simplement remettre à Mlle Lacheneur une lettre de moi, si compromettante que si jamais elle arrivait entre les mains de tel personnage que je sais, mon père et moi n’aurions plus qu’à retourner à Londres. Alors, adieu les projets d’union entre nos deux familles…

Le dernier venu eut un gros soupir accompagné d’une exclamation chagrine, mais déjà l’autre poursuivait :

— Vous-même, marquis, seriez sans doute compromis… N’avez-vous pas été quelque peu chambellan de Bonaparte, du vivant de votre seconde ou de votre troisième femme ? Ah ! marquis, comment un homme du votre expérience, pénétrant et subtil, a-t-il pu se laisser prendre aux simagrées d’un grossier paysan !…