Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/287

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pâle et ses yeux brillent terriblement… Il lit tout haut pour se distraire… Le caporal Bavois est accoudé à la fenêtre, il ne doit pas s’amuser…

La voix du baron avait encore cet avantage de masquer un grincement suspect, s’il y en eût eu un…

Et pendant que travaillait Bavois, M. d’Escorval lisait, lisait…

Déjà il avait lu entièrement le journal et il venait de le recommencer, quand le vieux soldat, quittant la fenêtre, lui fit signe de se reposer.

— La moitié de la besogne est faite !… prononça-t-il tout bas. Les barres de la première rangée sont coupées…

— Ah !… comment reconnaîtrai-je jamais tant de dévouement !… murmura le baron.

— Là-dessus, motus !… interrompit Bavois d’un ton fâché. Quand j’aurai filé avec vous, je serai condamné à mort et je ne saurai où aller, car le régiment, voyez-vous, c’est tout ce que j’ai de famille… Eh bien !… vous me donnerez chez vous place au feu et à la chandelle, et je serai très-content !…

Il dit, avala une large lampée d’eau-de-vie, et se remit à l’œuvre avec une ardeur nouvelle…

Déjà le caporal avait fortement entamé un des barreaux de la seconde rangée quand il fut interrompu par M. d’Escorval qui, sans discontinuer sa lecture à haute voix, s’était approché de lui et le tirait par un pan de sa longue capote.

Vivement il se retourna.

— Qu’y a-t-il ?…

— J’ai entendu un bruit singulier.

— Où ?

— Dans la pièce à côté ; où sont les cordes.

Le digne Bavois n’étouffa qu’à demi un terrible juron.

— Nom d’un tonnerre !… fit-il, voudrait-on nous tricher ! Je joue ma peau, on m’a promis de jouer franc jeu !…