Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/302

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— Nous, vous vendre, monsieur, dit-elle… Ah ! vous ne connaissez pas les Antoine !… Entrez chez nous, monsieur, et jetez-vous sur notre lit, pendant que je préparerai des œufs au lard… Quand mon mari sera rentré, nous aviserons…

La journée était bien avancée, quand parut le maître de la maison, un robuste montagnard à l’œil ouvert et franc…

En apercevant cet étranger, assis devant son âtre, il pâlit affreusement.

— Malheureuse !… dit-il à sa femme, tu ne sais donc pas que l’homme chez qui celui-ci sera trouvé sera fusillé et que sa maison sera rasée !…

Lacheneur se leva frissonnant.

Il ne savait pas cela, lui ! Il connaissait le chiffre de la prime promise à l’infamie, il ignorait de quelles terribles peines on menaçait les gens d’honneur.

— Je me retire, monsieur, prononça-t-il.

Mais le paysan, laissant retomber sa large main sur l’épaule de son hôte, le força à se rasseoir.

— Ce n’est point pour vous chasser que j’ai parlé, monsieur, dit-il. Vous êtes chez moi, vous y resterez jusqu’à ce que je trouve un moyen de pourvoir à votre sûreté…

La jolie paysanne sauta au cou de son mari, et avec l’accent de la passion la plus vive :

— Ah ! tu es un brave homme, Antoine ! s’écria-t-elle.

Il sourit, embrassa tendrement sa femme, puis lui montrant la porte restée ouverte :

— Veille, dit-il.

M. Lacheneur put croire que la destinée enfin se lassait.

— Je dois vous avouer, monsieur, reprit l’honnête montagnard, que vous sauver ne sera pas facile… Les promesses d’argent ont mis en mouvement tous les mauvais gueux du pays… On vous sait aux environs… Un gredin d’aubergiste a passé la frontière tout exprès pour vous dénoncer aux gendarmes français…