Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/305

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On nous tirera sans doute des coups de fusil, mais on nous manquera…

— Et votre femme ?… fit Lacheneur.

L’honnête montagnard frissonna, mais il dit :

— Elle nous rejoindra.

Lacheneur lui prit la main qu’il serra avec un attendrissement dont il ne cherchait ni à se cacher ni à se défendre.

— Ah !… vous êtes de braves gens !… dit-il, et Dieu vous récompensera de votre pitié pour le pauvre proscrit… Mais vous avez trop fait déjà… Je serais le plus lâche des hommes si je vous exposais inutilement… Je ne puis plus, je ne veux plus être sauvé.

Il attira à lui la jeune femme qui sanglotait, et l’embrassant sur le front :

— J’ai une fille, murmura-t-il, belle comme vous, mon enfant, comme vous, généreuse et fière… Pauvre Marie-Anne !… Qu’est-elle devenue, elle que j’ai impitoyablement sacrifiée à mes rancunes ?… Allez ! il ne faut pas me plaindre, quoi qu’il m’arrive… je l’ai mérité.

Le bruit des bottes sur le sentier devenait de plus en plus distinct. Lacheneur se redressa, rassemblant pour l’heure décisive toute l’énergie dont son âme altière était capable…

— Restez !… commanda-t-il à Antoine et à sa femme. Moi, je sors, je ne veux pas qu’on m’arrête chez vous.

Il sortit, en disant cela, d’un pas ferme, le front haut, le regard calme et assuré.

Les soldats arrivaient.

— Holà !… leur cria-t-il d’une voix forte, c’est Lacheneur que vous cherchez, n’est-ce pas ?… Me voici !… Je me rends.

Pas une acclamation ne répondit.

La mort qui planait au-dessus de sa tête imprimait à sa personne une si imposante majesté, que les soldats s’arrêtèrent frappés de respect.

Mais il y eut un homme que cette voix retentissante terrifia : Chupin.